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qu’il repoussait alors comme une chose inconcevable, comme une pensée de couard, l’idée qu’il pourrait être vaincu (v. 1106), et comment cette foi en son invincibilité, l’ayant soutenu durant la première bataille, a décru peu à peu, s’est évanouie au cours de la seconde, pour ne laisser à sa place, au début de la troisième, que la certitude de sa défaite, on constate que le poète a fait descendre son héros, démarche en marche, toujours plus bas vers plus de détresse, jusqu’à l’instant où il sonne l’olifant ; mais voici qu’à partir de cet instant, la courbe remonte, tracée par le poète avec une délicatesse et une sûreté de mains merveilleuses, remonte de la détresse vers l’espoir, vers la joie, vers la sérénité. La victoire, que Roland avait prédite, à laquelle lui seul avait cru d’abord, et dont la promesse avait semblé à tous une parole de fou, la victoire, que lui-même maintenant croit impossible, il l’aura. Le fils de Marsile tué de sa main (v. 1904), et Marsile qui fuit, le poing droit tranché (v. 1913), et les dernières troupes sarrasines qui faiblissent, la lui présagent. Maintenant Charles peut venir (v. 1928) :


« Quant en cest camp vendrai Carles mi sire,
De Sarrazins verra tel discipline,
Cuntre un des noz en truverat morz quinze.
Ne lesserat que nos ne beneïsse. »


Sur le champ de Roncevaux qui est à lui (v. 2183), il mourra « conqueramment, » Les corps de ses pairs qu’il a recherchés dans la plaine, rapportés dans ses bras et bien rangés sur un même rang pour la dernière bénédiction ; ses adieux à Turpin, à Durendal ; les trois coups qu’il frappe de son épée pour la briser sur le rocher, chacune de ces scènes de deuil est une scène de gloire. Il choisit sa place pour mourir, la tête tournée vers la terre ennemie, comme il convient à un vainqueur ; et, comme il convient à un martyr, sa Passion est à la fois toute souffrance et toute joie (v. 2355) :


Roland sent que la mort le prend ; elle descend de sa tête sur son cœur. Il va courant vers un pin, se couche sur l’herbe verte, face contre terre. Il met sous lui l’épée et l’olifant, et tourne sa tête vers la gent païenne ; il l’a fait, voulant que Charles dise, et tous les siens, qu’il est mort en vainqueur, le noble comte. Il bat maintes fois sa coulpe. Pour ses péchés il tend à Dieu son gant.

Roland sent que son temps est fini. Il est sur une hauteur escarpée, qui regarde l’Espagne. De l’une de ses mains il bat sa poitrine : « Dieu, meâ