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qui se survivent, se prolongent, se ressassent ; leurs imitations françaises ou étrangères, car les étrangers ont beaucoup voyagé en France pendant cette période, et leurs récits, allemands ou anglais surtout, remplissent une bibliothèque ; un peu de tous les genres, fausses lettres indiennes ou persanes, réflexions morales, contes et romans, tableaux. Littérature spéciale et littérature générale ne nous donneraient que peu de chose. Le théâtre, pas davantage. Sans doute les auteurs dramatiques mettent bien à la scène quelques artisans : M. Henri Welschinger cite un poêlier, des laboureurs, une nourrice, des salpêtriers, un cocher, un commissionnaire, un batelier, un bûcheron. Mais ce sont des fantoches, sans caractère ni type, n’ayant quoi que ce soit ni de spécifiquement professionnel, ni même de spécifiquement ouvrier. Tous sont de braves gens, « dévoués, sensibles, patriotes, fiers et bons, généreux, modestes ; » ils ont tous « le cœur sur la main » et « la larme à l’œil. » Mais ce ne sont ni des hommes de tel métier, ni même des hommes de telle classe ; c’est l’homme du temps nouveau et du monde nouveau, l’homme républicain ; et il est en cire ou en bois, tous les exemplaires coulés dans le même moule ou taillés d’après le même modèle : un poncif, un « pochoir, » la vertu du Peuple. Justement voilà le mot de tout : le Peuple ; et, à ce moment, et pour un moment, quelques laboureurs qui le travaillent, quelque semence qu’ils y jettent, il apparaît, vis-à-vis de l’aristocratie, vis-à-vis des deux premiers ordres, un et indivisible, un et indivisé. En somme, on n’exagérerait pas de beaucoup en disant que, sur le point où nous voudrions nous arrêter, sur ce que l’ouvrier a pensé de lui-même et sur ce que les autres ont pensé de lui, la Révolution est à peu près muette, tandis que les renseignemens nous étaient venus à foison de 1750 à 1780, et qu’ils vont abonder encore dès le début du XIXe siècle. On n’exagérerait pas de beaucoup en disant qu’entre les derniers encyclopédistes et les premiers fouriéristes et saint-simoniens, malgré l’Encyclopédie de Panckoucke. qui continue la grande, malgré les redites et répliques de Restif et de Mercier, il y a dans l’histoire des idées, quant aux circonstances du travail, et plus précisément quant à la condition morale et sociale des travailleurs, une sorte de lacune. Mon savant ami, M. Alfred Rébelliau, témoin de la surprise que j’en ai éprouvée, me propose une explication : « Évidemment, me confirme-t-il en me faisant part du résultat négatif des recherches