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vient de se passer me remplit d’une force nouvelle. C’est parce que j’ai passé par toutes les douleurs des prolétaires, parce que j’ai connu tous les maux qu’il est possible aux hommes d’endurer, que je sens en moi la force de travailler à améliorer leur sort, de concert avec vous. »

Le mouvement est généreux, le dessein est parfaitement sage. Ce qui est baroque, ce qui est fou, c’est le cérémonial, le rituel. Sans doute le saint-simonisme ne veut-il pas se priver de la puissance d’impulsion mystique ou religieuse qui doit être et qui sera au fond de tout socialisme. Mais il a le tort de tourner, s’il est permis d’employer de telles expressions, ce sentiment en dehors, de l’étaler comme un vêtement d’autel, comme l’ornement d’un culte parodié. Il faut que ce soit une âme, qui meuve la doctrine et la développe de l’intérieur, non des bandelettes qui l’enserrent et la lient, appelant en outre sur elle l’ironie aisément excitée des foules. C’est pourquoi le saint-simonisme, avec son enseignement pour le degré des ouvriers ou des industriels, ne devait pas porter très loin. Des ouvriers, il y en avait bien quelques-uns, parmi ces réformateurs : Charles Déranger, qui signe « prolétaire, ouvrier horloger, rue du Pont-aux-Choux, no 21 ; » Ollivier, Rousseau et Toché, ex-cultivateurs ; Bergier, ex-tambour-major, carreleur ; Mercier, ancien garçon de bureau ; Desloges, ancien garçon boucher, et d’autres. En comptant tout, on arriva, pour les douze arrondissemens de Paris, dotés chacun d’un médecin, d’un directeur et d’une directrice, à 330 fidèles, dont 110 femmes, environ 150 enfans, et 1 500 assistans qu’on appela et qu’on crut catéchumènes. C’était peu dans la grande ville, infiniment peu dans l’énorme masse des 25 millions de « travailleurs » qui formaient les vingt-quatre vingt-cinquièmes de la nation ; mais, puisque Saint-Simon, pour se donner vraiment des airs de fondateur de religion, a affecté d’aimer les paraboles, dans la ville, dans la nation, dans la classe industrielle, classe ouvrière de demain, ç’a été le grain de sénevé.


III

Une page de Tocqueville encore, dans un raccourci magistral, en dit, sur la Monarchie de Juillet, plus que n’en diraient bien des pages : « 1830 a clos cette première période de nos