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certes pas parmi les meilleurs, me revenaient comme une obsession :


Padoue est un fort bel endroit,
Ou de très grands docteurs en droit
Ont fait merveille ;
Mais j’aime mieux la polenta
Qu’on mange aux bords de la Brenta
Sous une treille...


Cette année, j’ai pu enfin réaliser mon rêve. Je n’ai pas mangé de polenta sous une treille ; mais j’ai suivi le cours de la Brenta, tout tranquillement, en flânant, tantôt en barque, tantôt à pied sur les berges. Et je fus tout d’abord déçu.

C’est à Fusina que commencent ces rives dont la réputation était extraordinaire, puisqu’on les égalait aux plus fameuses merveilles de l’Univers. « Je ne crois pas, dit Lalande, que les délices de Tempé, si célèbres dans les anciens poètes, ni le faubourg de Daphné (au midi d’Antioche) dont on a tant parlé, eussent rien de plus beau que le bassin de Naples et les rivages de la Brenta. » De tels éloges semblent, aujourd’hui, singulièrement exagérés ; c’est que nous n’avons sous les yeux qu’un pâle reflet de l’ancienne splendeur de ces bords, au temps où on les visitait en burchiello. « C’est un grand bateau, dit Lalande, dont la chambre est communément ornée de peintures, avec des tapis, des glaces et des portes vitrées : on le fait remorquer par une ou deux barques à quatre rames, depuis Venise jusqu’à Fusina, le long des lagunes, où la route est indiquée par des piquets, pour que les barques ne soient point exposées à s’égarer ou à donner sur les bas-fonds. Il faut environ une heure pour aller de Venise en terre-ferme, c’est-à-dire pour faire cinq milles ; on prend ensuite deux chevaux pour tirer la barque le long du canal de la Brenta... Quand on est entré dans ce canal. On trouve une double file de villages et de maisons qui se succèdent sans interruption ; des palais superbes, des casinos ornés, des jardins sans nombre, une belle verdure ; je n’ai point vu de rivages aussi rians et aussi bien peuplés. » Quelque vingt ans plus tôt, le président de Brosses nous avait aussi vanté son burchiello qui se nommait le Bucentaure. « Vous pouvez bien penser, dit-il, que ce n’est qu’un fort petit enfant du vrai Bucentaure ; mais aussi c’était le plus joli enfant du monde, ressemblant fort en beau à nos diligences d’eau, et infiniment plus propre...