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décor, on peut s’étonner qu’il n’ait même pas pris la peine de reproduire d’après nature le paysage et le palais. Mais l’œuvre est belle au point de vue décoratif et la scène imaginée par le peintre a de l’allure : Henri III monte les degrés d’une terrasse imaginaire, suivi d’un cortège de gentilshommes français et polonais, de pages, de gardes et de nains ; le vieux Contarini en toge, entouré de sénateurs et de patriciens, s’incline devant le jeune souverain.

L’autre villa de Mira, où j’ai voulu m’arrêter, est le palais Ferrigli, qui appartint autrefois aux Foscarini. Son aspect n’a rien de remarquable et l’on ne peut même plus y évoquer l’amoureuse figure de cet Antonio Foscarini, qui aurait subi la peine capitale plutôt que de compromettre l’honneur d’une femme. La loi de la République punissait de mort tout citoyen qui entrait de nuit chez un diplomate étranger ; et la fable prétendait qu’un soir, le fils du doge, ayant dû s’enfuir précipitamment de chez une Vénitienne, n’avait eu d’autre ressource que de sauter par la fenêtre sur un balcon voisin, qui se trouva être celui de l’ambassade d’Espagne. Il est établi aujourd’hui que l’amour n’eut rien à voir dans cette affaire. La condamnation d’Antoine Foscari, pour négociations secrètes n’en reste pas moins des plus douloureuses, puisque, après l’exécution de la sentence, son innocence fut reconnue et proclamée solennellement par le Conseil des Dix.

A défaut de la légende, le palais nous offre les souvenirs de lord Byron qui le loua, en 1817, pour y installer sa maîtresse Marianna, malade des fièvres. C’est à Mira également qu’il fit connaissance d’une fille du pays, Margarita Cogni, celle qu’il baptisa la Fornarina. Et c’est dans cette même villa qu’il revint encore, quelques semaines plus tard, avec la Guiccioli à qui les médecins ordonnaient l’air de la campagne. Voici la chambre où il écrivit l’admirable quatrième chant du Pèlerinage de Childe Harold. Peut-être ces mois de Mira comptent-ils parmi les plus heureux et les plus calmes de sa vie. Pauvre Byron ! Son existence se passa presque entièrement dans des alternatives de nobles désirs et de viles réalités, de cynisme et de tendresse, d’enthousiasme et de dégoût. Pareil à ce navire de Murano enfermé dans une bulle de verre, qui semble n’avoir pas la force de briser la frêle barrière qui l’immobilise, le moindre obstacle paralysait ses plus fières audaces. C’est après