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vinrent d’ailleurs, au XIVe et au XVe siècle, les deux grands maîtres dont l’influence fut décisive. Giotto et Donatello ne se sentirent point dépaysés sur les rives du Bacchiglione et furent tout de suite compris et imités. Rien n’est plus loin de l’art de Titien que la manière un peu dure et sèche de Squarcione ou de Mantegna.

Au sortir de Padoue, la route de Ferrare longe en ligne droite le canal de Battaglia. Sur la gauche, se déploie une vaste étendue, jadis marécageuse, aujourd’hui magnifiquement arrosée par un système très complet de canaux, véritable jardin d’une fertilité surabondante où les chemins disparaissent sous les verdures. A droite, s’élèvent les monts Euganéens, petite chaîne volcanique brusquement surgie au-dessus de la plaine, ne se rattachant ni aux contreforts des Alpes de Vérone ni aux Apennins. Leurs cratères éteints ont des formes bizarres, mais toujours harmonieuses, ainsi que le note très justement Chateaubriand, qui goûta fort ce pays. « Elle est charmante, dit-il, cette route jusqu’à Monselice : collines d’une élégance extrême, vergers de figuiers, de mûriers et de saules festonnés de vignes... Les monts Euganéens se doraient de l’or du couchant avec une agréable variété de formes et une grande pureté de lignes : un de ces monts ressemblait à la principale pyramide de Saccharah, lorsqu’elle s’imprime au soleil tombant sur l’horizon de la Libye. » Et il achève de s’exalter en pensant qu’il traverse un des coins du monde les plus féconds en écrivains et en poètes. Il cite pêle-mêle Tite-Live, Virgile, Catulle, Arioste, Le Tasse, Pétrarque, bien d’autres encore. En réalité et pour être précis, je ne vois que deux souvenirs littéraires qui soient vraiment locaux : la naissance de Tite-Live dans la région, probablement à Abano, et la mort de Pétrarque dans le petit village d’Arquà.

Toute la contrée est riche en sources thermales. Les cratères euganéens ne vomissent plus de lave ; mais les eaux qui coulent avec une extrême abondance des fissures du trachyte témoignent de l’activité qu’ont encore les foyers souterrains. Les prés sont sillonnés de ruisseaux d’eau chaude d’où montent de lourdes vapeurs. Et la distraction des baigneurs est de faire cuire des œufs dans les bassins où le liquide arrive à une haute température. Les thermes d’Abano s’enorgueillissent d’ailleurs d’un passé presque fabuleux, puisque Hercule s’y serait délassé de ses fatigues,