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lui, faut-il citer Mme Marie-Louise Derval, toujours charmante et toujours digne de meilleurs rôles, et Mlle Jeanne Desclos, très gracieuse en Marsinah ? Encore une fois, les rôles de Kismet n’en sont pas. Tout ici n’est que parade et figuration.


Si vous voulez, par un autre exemple, juger du péril que fait courir à la littérature dramatique cette exubérance de la mise en scène, allez voir à l’Odéon l’adaptation de Faust, qui y est en ce moment représentée avec grand succès. N’est-ce pas à ce même Odéon que. l’an dernier, nous eûmes une Esther dont le succès fut surtout un succès de décors, ô Racine ! mais les vers n’étaient pas de Racine. Je me souviens que jadis, ayant à faire l’analyse d’une pièce dont l’auteur était peu goûté des lettrés, M. Jules Lemaître, dans un de ses délicieux feuilletons, s’amusa, pour chaque acte, à décrire le décor ; puis, deux lignes lui suffisaient pour noter ce qui s’y passait. Cette méthode conviendrait fort bien ici. Seulement, cette fois, le texte est de Gœthe !

Au premier tableau les remparts d’une ville. Le jour tombe. Nous suivons d’un œil curieux et charmé les changemens de la lumière, jusqu’à ce que les feux du soleil couchant colorent le faîte des maisons et qu’après cet embrasement splendide, qui est l’adieu de « l’astre du jour, » nous assistions aux progrès de l’ombre qui s’étend ; c’est le moment pour le docteur Faust de regagner la ville.

Le deuxième tableau est un Rembrandt. Dans une chambre voûtée, près de la fenêtre, un « vieux philosophe » est penché sur ses livres. Toute la pièce est enveloppée de ce fameux « clair-obscur » que nous admirons dans les tableaux du maître hollandais, et qu’on est parvenu à reproduire par un de ces effets d’éclairage où se joue l’industrie de nos habiles spécialistes. Le vieux philosophe se désespère de sa vieillesse, évoque les esprits, el vend son âme au diable, par un engagement écrit et dûment signé de lui.

Le quatrième tableau est un Téniers. Dans la taverne d’Auerbach, des buveurs sont attablés ; il y a des ivrognes affalés sur les bancs, tandis que, par un escalier placé sur le côté, Faust s’introduit dans ce lieu de délices et s’initie enfin aux joies de la terre.

Ici non plus, je n’aurai garde d’énumérer tout au long, et un par un, les tableaux successifs : le jardin de Marguerite, la nuit de Valpurgis, la prison. J’ai hâte d’arriver à celui qui est certainement le clou de la soirée et qui est une pure merveille. C’est la nuit, au bord d’un lac. De l’onde sortent des elfes, des sylphides, tout un petit peuple des