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guerre, les grandes puissances avaient déclaré que, quel qu’en fût le résultat, le statu quo territorial des Balkans serait maintenu, et que les pays balkaniques eux-mêmes, affirmant qu’ils n’avaient aucun esprit de conquête, réclamaient seulement des réformes pour leurs frères de Macédoine. Déférens envers les volontés de l’Europe, disaient donc les Turcs, et soucieux de donner aux alliés les seules satisfactions qu’ils ont revendiquées avant l’ouverture des hostilités, nous allons faire des réformes. S’il y avait là de l’ironie, elle était poussée un peu loin ; la guerre avait eu lieu ; elle avait coûté cher aux alliés, mais leur avait donné la victoire ; ils étaient en droit d’augmenter leurs exigences et ils étaient d’ailleurs en force pour les imposer. Le gouvernement ottoman le savait fort bien et n’attachait aucune importance à ses premières propositions : elles n’étaient pas sérieuses ; elles étaient peut-être même d’un à-propos douteux. Naturellement, les délégués balkaniques les ont repoussées et ont demandé aux Turcs de faire des propositions nouvelles.

On a pris date pour cela : le jour venu, les délégués turcs ont déclaré n’avoir pas pu déchiffrer intégralement les instructions qu’ils avaient reçues par télégramme, et ont demandé un nouveau délai qui leur a été accordé ; puis ils ont fait connaître qu’ils abandonnaient toute la Macédoine et une partie de la Thrace, ne se réservant que le vilayet d’Andrinople et les îles de la mer Egée : une réserve était faite pour la Crète qu’ils étaient disposés à abandonner ; mais comme elle était, disaient-ils, en dépôt entre les mains des puissances, c’est avec celles-ci qu’il y avait lieu de s’entendre tout d’abord. Ce jour-là a été le plus beau de la Conférence de la paix ; les délégués turcs cédaient ; ils cédaient même beaucoup en une seule fois, montrant par là qu’ils désiraient conclure et renonçaient aux procédés dilatoires dont leur diplomatie est coutumière. Aussi les délégués balkaniques les regardaient-ils avec complaisance : pour un peu, on se serait donné le baiser Lamourette. Les Turcs avaient annoncé d’abord qu’ils cédaient les territoires « occupés » par les alliés en Macédoine ; ce n’était pas assez ; on le leur a fait remarquer et ils n’ont pas fait beaucoup de façons pour substituer le mot de « situés » à celui d’ « occupés, » abandonnant ainsi aux alliés des territoires et des villes qu’ils n’avaient pas encore conquis. Un très grand pas était donc fait et il y avait lieu d’espérer que ce ne serait pas le dernier. Mis en appétit, les délégués balkaniques ont bientôt demandé davantage : ils ont revendiqué la totalité du vilayet d’Andrinople, c’est-à-dire la fille avec le territoire, et toutes les îles de l’Archipel sans exception.