Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/559

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mme Yriondo rentra avec le livre annoncé par l’ange, présenta ce livre à Cavalcanti et lui offrit en outre un exemplaire de Vivekananda, en lui disant qu’elle en avait deux. Tandis que Cavalcanti feuilletait ces volumes, je fis à sa place le diplomate et j’essayai d’amener la dame à une transaction. Finalement elle se déclara prête à recevoir le docteur dans la cabine de son mari, à la condition que le docteur ne lui adresserait aucune question sur son mal et que, pendant la visite, il le troublerait le moins possible. Si le docteur désirait quelques renseignemens, il les demanderait à Mme Yriondo, hors de la cabine. Je répondis que je transmettrais au docteur cette réponse et que j’espérais qu’il accepterait la proposition.

Nous revînmes dans la salle à manger. Autour des tables desservies, Rosetti, le docteur, l’amiral et ma femme nous attendaient, en bavardant et en prenant le sorbet du dimanche. Je résumai minutieusement notre entretien avec Mme Yriondo, sans omettre de dire que, à notre grande confusion, cette dame nous avait demandé pourquoi, dans l’Eden, il y avait l’arbre de la science et l’arbre de la vie. Quand j’énonçai les clauses de la transaction, la colère et l’indignation du docteur éclatèrent :

— Elle peut être tranquille ! s’écria-t-il, plus exaspéré que jamais. Je ferai ma visite à son mari sans ouvrir la bouche, comme si j’étais un vétérinaire !

Cavalcanti l’accompagna en qualité d’interprète. Nous nous amusâmes de l’explosion du docteur ; nous plaisantâmes sur la Science Chrétienne et sur la « chirurgie mentale » de Mrs Eddy ; tant qu’enfin, m’adressant à Alverighi, qui jusqu’alors n’avait pas soufflé mot :

— Dans votre Amérique, dis-je, on en voit de belles !

— Quelques fous ignares ! grommela-t-il. Mais personne ne les prend au sérieux.

— Quant à cela, répondis-je, n’allons pas si vite. La Science Chrétienne compte un grand nombre de prosélytes, même dans les classes élevées et riches. A Boston, j’ai visité leur église : une église énorme où, sur les murailles, les maximes de Mrs Eddy voisinent avec celles du Christ !

Alverighi haussa les épaules.

— Le pays est si grand ! Chacun prétend penser avec sa propre cervelle, même ceux qui n’en ont guère. Et puis, ajouta-t-il, c’est bientôt fait de rire.