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L’Autriche a des intérêts considérables dans la péninsule des Balkans et elle avait incontestablement le droit de chercher à les sauvegarder par les moyens qu’elle a crus les meilleurs. La situation que lui ont faite les victoires des alliés balkaniques et l’effondrement de l’Empire ottoman est des plus délicates. L’opinion, en France particulièrement, est favorable aux petits Etats, aux héroïques vainqueurs de Lüle-Bourgas et de Koumanovo ; de plus, les Français sont sympathiques aux Slaves, comme alliés de la Russie, et aux Grecs par une vieille tradition de notre histoire. L’Autriche, qui s’est déjà agrandie sans coup férir en 1878 et en 1908, intervient encore une fois pour enlever à des vainqueurs le fruit de leurs victoires ; c’est un rôle ingrat, difficile à tenir. Si légitimes que soient ses intérêts, le gouvernement de Vienne pourrait apporter à les défendre des procédés plus adroits.

Les Autrichiens se plaignent, non sans raison, que la presse et l’opinion, en France notamment, ne tiennent pas assez compte des sacrifices considérables que les événemens leur imposent ; mais eux-mêmes se représentent-ils avec équité ce que peuvent être les sentimens d’un officier ou d’un soldat serbe, vainqueur après de rudes combats où tant de ses frères sont tombés, et obligé d’abandonner à l’Albanais, ennemi séculaire de sa race et oppresseur de ses frères, des villes conquises au prix de son sang et qui furent autrefois des citadelles du grand empire de Douchan ? La paix ne pourra être maintenue, entre Autrichiens et Serbes, que par des concessions réciproques et une mutuelle bonne volonté ; elle le sera aussi par la conscience que ni les uns ni les autres ne gagneraient rien à se battre. La guerre serait peut-être désastreuse pour la Serbie ; mais est-il certain qu’elle serait avantageuse pour l’Autriche ? Si les Serbes reculaient sans combattre devant l’envahisseur, qui pénétrerait chez eux pendant que la meilleure partie de leurs forces sont devant Andrinople et devant Tchataldja, et s’ils faisaient appel à l’Europe, les Autrichiens seraient sans doute assez embarrassés de leur conquête. Et si, au contraire, les Serbes se décidaient à combattre, les Autrichiens n’en viendraient à bout qu’après une guerre d’usure et d’extermination qui leur causerait des pertes cruelles sans leur procurer un bénéfice appréciable. Et qui sait quelles seraient les répercussions d’une telle lutte sur les Slaves de l’Empire, particulièrement