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force. Des écrivains comme M. le comte d’Haussonville dénonçaient, en 1887, le sort lamentable auquel la loi condamnait la fille du peuple séduite et abandonnée. M. Bérenger continuait la campagne. Ainsi le développement magnifique de la bienfaisance servait à renseigner et à convaincre : on était convaincu dès qu’on était renseigné ; toutes les personnes de bonne foi, qui s’en allaient dans les quartiers pauvres découvrir, visiter, secourir ces malheureuses filles, revenaient avec la même conviction : il y a dans cette loi, qui interdit de rechercher le père, quelque chose d’injuste qu’il faut corriger.

En réalité, depuis assez longtemps, la correction avait été essayée ; et c’est même parce qu’elle atténuait notablement le mal qu’on a pu attendre jusqu’à maintenant pour changer la loi elle-même. Le sentiment public, qui répond au besoin général d’une justice, se satisfaisait en partie grâce à ceux qui ont précisément mission de rendre la justice. Ici, comme dans toutes les questions qui touchent le plus à la vie des citoyens, les magistrats se faisaient les interprètes du vœu secret des consciences. Dès 1845, on les voit qui tâchent d’adoucir la règle si rigoureuse du Code civil. Ils respectent la loi ; ils ne permettent pas que le père d’un enfant naturel soit recherché. Mais c’est bien respecter aussi la loi, que d’appliquer ce grand principe du même Code : « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé à autrui par sa faute. » Or la fille qui devient mère a bien le droit de dire qu’elle a subi un dommage, que ce dommage a été causé par l’homme qui l’a rendue mère, qu’enfin cet homme lui doit réparation. Oui, semble-t-il. Cependant, il lui est interdit de rechercher le père de son enfant. Comment donc concilier cette défense, qui est absolue, avec le droit qui ne l’est pas moins, pour toute personne, d’obtenir réparation d’un préjudice ? Les magistrats y sont arrivés en disant que la réparation serait due, toutes les fois que la demande s’appuierait sur une séduction caractérisée, ou que l’auteur du préjudice aurait fait lui-même l’aveu de sa faute en promettant de la réparer. Dans le premier cas, voici une fille qui prouve par des lettres qu’elle a cédé à des promesses de mariage : la séduction est certaine ; la faute du séducteur, évidente : c’est cette faute qu’il devra réparer en payant des dommages-intérêts, sans qu’il soit fait échec à la défense de rechercher la paternité. L’autre cas est encore plus démonstratif :