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vouloir creuser et fouiller sous les fondemens de la maison que nous habitons, pour voir s’ils sont solides, nous risquons de faire que cette maison s’écroule ; je le sais bien. Mais que voulez-vous ? L’homme a besoin de savoir. Et puis, en creusant et en fouillant, on trouve aussi des trésors cachés...

Cavalcanti tranquillisait ses propres inquiétudes par ce commode aphorisme dont abuse si fort l’optimisme moderne : « Dans l’univers, tout se contre-balance ! » Mais il ne me rassura point. J’entrevis confusément qu’il y aurait beaucoup à redire sur cet argument. Mais il répugnait à ma croissante paresse de m’engager dans une discussion, et je renonçai à exprimer une objection quelconque.

Un coup de vent tomba sur nous en sifflant, nous assourdit, emporta nos paroles, nous disjoignit en quelque sorte l’un de l’autre, puis se perdit sur la mer inquiète. Ensuite nous eûmes pour ainsi dire la sensation de nous rapprocher ; mais, un peu étourdis par la rafale, nous ne reprîmes pas tout de suite l’entretien. Cavalcanti considérait la mer en silence. Enfin, sans transition.

— De l’eau, des nuages, du vent, dit-il en montrant l’horizon. Aujourd’hui comme hier, comme toujours ! Toujours cette courbe close, partout égale à elle-même, partout instable et mobile... Ne vous semble-t-il pas, à vous aussi, que dans ce cercle l’Océan se rapetisse ? Quel phénomène curieux ! L’eau anime tous les paysages terrestres, parce qu’elle y est l’élément mobile au milieu des formes immuables que présentent les montagnes et les plaines ; mais, sur l’Océan, lorsque les formes invariables de la terre ont cessé de s’offrir à la vue, cette perpétuelle agitation de l’eau rappelle la morte immobilité d’un désert. L’Océan n’est pas une immensité vivante ; c’est une solitude morte, parce qu’il change sans cesse et que rien en lui ne demeure immuable.

Il avait raison. Nous gardâmes le silence. De légères brises voletaient autour de nous ; à mesure que le désert océanique devenait plus sombre, les nuages s’allumaient, là-haut, d’une flamme plus vive. Des troisièmes classes nous arrivaient quelques chants, que le vent dispersait. Je me retournai. Il n’y avait personne sur le pont, sauf un officier qui le traversait à la hâte ; non loin de nous, un marin, lentement et sans bruit, peignait en blanc la toiture. Je racontai alors à Cavalcanti que