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Figaro, de semaine en semaine ; — et l’incident de la semaine était le thème ; voilà justement l’essai : sur quelque phénomène authentique, on fait l’essai de son opinion comme, au contact de la pierre de touche, on éprouve un métal. Montaigne, qui ne vivait pas sous le régime de l’information rapide et aguichante, demandait à ses lectures les occasions de son émoi très attentif. La « dernière heure » des journaux remplace, pour M. Alfred Capus, le bon Plutarque, et Stobée, Aulu-Gelle et enfin les anecdoctiers d’Athènes et de Rome. Mais le procédé est le même : sur les fragmens de la réalité, l’on pose les fragmens d’une idéologie.

Méthode excellente, et qui convient à cette époque-ci. Méthode expérimentale : et, malgré que nous en ayons, nous sommes dominés par les règles du positivisme scientifique. Puis nous avons une circonspecte méfiance à l’égard de ces nobles synthèses que les métaphysiciens de naguère bâtissaient ; et il fallait qu’entrât dedans, facilement ou non, la réalité : on l’y poussait. Or, quelques synthèses, sous la bousculade, se sont écroulées. Nous estimons les précautions méticuleuses de l’analyse ; au lieu de réunir les divers problèmes en un seul, nous éparpillerions plutôt les questions d’espèce.

Le danger serait alors de ne pas aboutir à une ample solution ; le danger n’est-il pas le scepticisme ?…

On méconnaît le scepticisme !… C’est, je l’avoue, un peu sa faute. Il a, quelquefois, des façons désagréables ; et il a, trop aisément, de mauvaises relations : il se lie, par exemple, sans vergogne avec les théories les plus détestables. Mais le dogmatisme n’est pas toujours mieux avisé. En définitive, depuis que le monde est monde, quelle doctrine fut assez prudente pour ne se compromettre jamais ? On a tort si, à cause de fâcheux sceptiques, on dénigre tout scepticisme. Royer-Collard, quand il a dit qu’ « on ne fait point au scepticisme sa part, » a dit une drôle de chose, et absurde, si je ne me trompe. Tout la travail de la science, tout l’effort de la pensée et toute l’activité de la vie consistent à faire au scepticisme sa part. Dans l’histoire de l’humanité comme dans la modique histoire de chacun de nous, la lente conquête d’une vérité recule la frontière où notre doute est le voisin de notre certitude. Il ne s’agit pas de supprimer notre doute, mais de le borner. Les dogmatistes les plus intempérans ne s’engagent pas à nous révéler tout ; ils nous disent, dès qu’ils nous ont menés un peu loin : — Le reste ne vous regarde pas.

Un scepticisme judicieux n’est que discernement et loyauté. L’Écriture a signalé comme diabolique l’offre de la science universelle.