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elle le refusait. Souveraine, elle savait choisir, éluder, adopter, avec un sûr instinct.

Puis, à ce xénophobe, on dira que, somme toute, on n’y peut rien ; que la confusion des races et des pays est l’un des phénomènes inévitables de la vie actuelle ; et qu’on proteste inutilement contre les lois évolutives des sociétés humaines.

Ce langage emphatique et un peu niais a encore du crédit, malheureusement. Le xénophobe répondra qu’il n’est pas un xénophobe et qu’il ne souhaite pas de voir interdire chez nous l’importation des littératures étrangères. Mais, en examinant les époques qu’on lui a citées comme celles où l’esprit de notre pays a le mieux profité des influences étrangères, il observe que l’esprit de notre pays était alors pourvu de toute sa force résistante, possédait sa pleine santé, pouvait réagir et ne risquait rien, si l’on ose dire, à faire le jeune homme.

Or, — a-t-il par trop fait le jeune homme ? — on remarque un fléchissement de l’esprit français. Il a changé. Il a pâli. N’est-il pas malade ? Il n’a plus le même ton. Il est morose, il est nerveux, il est violent : signes de faiblesse.

Eh ! il fallait s’en apercevoir plus tôt !... Il le fallait, certainement. Et c’est dommage qu’on ne l’ait pas vu. Mais le désordre est venu lentement ; et, pour ne rien dissimuler, les préludes de ce désordre n’ont manqué ni d’agrément, ni même d’une séduction presque ravissante : M. Alfred Capus le montre, avec une sorte de repentir enchanté. Quand il peint, de couleurs crues, l’heure présente, il peint aussi, pour le contraste, l’heure précédente : il nous invite à comparer l’une et l’autre. Comparons-les.

La maladie couvait : on ne la devinait pas. La plupart des vices qui ont maintenant prospéré n’étaient qu’en germe au fond des cœurs. Les nouveautés de l’idéologie et du sentiment avaient un air un peu aventureux, à peine aventureux, un air d’aimable hardiesse, un air de bohème bien élevée. Pareillement, à la veille de la révolution, les Français ne furent-ils pas plus délicieux que jamais ? L’ancien usage s’était égayé d’une liberté, d’une audace nouvelles ; mais l’ancien usage réglait encore l’audace inopinée et la récente liberté. Tout cela devint une abominable frénésie. La société d’hier eut, chez nous, quelque analogie avec la société française que la révolution bouleversa.

Et c’est que les idées ne vont pas vite des livres aux foules : autrement dit, les idées ne se pervertissent pas du jour au lendemain. Il leur faut du temps. Elles ne se déclarent pas tout de go ; sournoises,