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douleur, il faut n’être que mélancolique, et mon âme est profondément affligée du présent et de l’avenir. »


En 1793, de même que M. Necker avait protesté contre le procès du Roi, elle avait lancé une éloquente protestation contre le procès intenté à la Reine, sans s’inquiéter des conséquences qui auraient pu de nouveau en résulter pour elle comme pour M, Necker. En 1794, elle avait adressé à M. Pitt et aux Français des Réflexions sur la Paix, qu’elle n’avait pas signées de son nom, et elle n’était pas médiocrement fière que Fox, en pleine séance du Parlement anglais, eût cité cette brochure comme « l’œuvre d’un homme très distingué. » En 1796, elle publiait en même temps à Paris et à Lausanne son traité De l’influence des passions sur le bonheur des nations et des individus. Ainsi elle trompait son incessant besoin d’activité intellectuelle et politique sans parvenir cependant à prendre son parti de cette existence de recluse. C’était toujours à Paris qu’elle aspirait. Mais, chaque fois que, pour y retourner, il lui fallait quitter son père, au dernier moment, le courage était sur le point de lui manquer :

Tous ces jours vont être tristes, écrivait-elle, en approchant du moment de me séparer de mon père. Je vois tout sous un nouveau jour et c’est lui que je regrette : ce n’est plus vous tous, mari, enfans, amis que je désire revoir, et, si l’on se décidait au moment de partir, je resterais toujours. Je ne l’ai jamais tant aimé, mon père, et ces séparations sont le malheur de ma vie. J’aimerais mieux mourir que d’exister longtemps avec tant de peines.

C’était cependant au milieu de ces peines qu’elle allait vivre, les années suivantes. Elle regagnait Paris au commencement de l’année 1797 et, à partir de cette année, elle ne fît plus à Coppet que des séjours de quelques mois, en été ou en automne. Aussi est-ce à partir de cette date également que commence la correspondance régulière de M. Necker avec sa fille.

Avant de puiser à cette source abondante, je voudrais dire quelques mots de M. Necker lui-même et montrer de quelle vie il vivait à Coppet.


III

Les premiers temps du séjour de M. Necker à Coppet avaient été singulièrement tristes. Il aurait fallu une âme plus philosophe