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Il entrait alors dans quelques détails sur les dispositions qu’il comptait prendre pour tourner la loi vaudoise et il continuait ainsi :

Je ne puis aller plus loin ; aimons-nous, ne soyons qu’un en toute chose et alors tu prendras pitié de ton Jacques adorant sa Gotte, comme de celui qu’elle aime. Ange chéri, quel sentiment délicieux qu’un si tendre amour ! Ah ! j’espère qu’il fera notre bonheur dans tous les temps. La pureté de ton âme céleste est mon bouclier et ma confiance. N’oublie jamais qu’aucun sentiment n’égalera jamais celui dont mon âme est remplie.

Mme Necker ne ménageait cependant à son mari aucune de ces émotions qu’il avait tant de peine à supporter. Deux ans après son installation à Coppet, c’est-à-dire en 1792, sentant sans doute qu’elle était mortellement atteinte, elle fut reprise, comme par une sorte d’obsession, de cette crainte d’être enterrée vivante qui lui avait inspiré un judicieux petit opuscule sur les inhumations précipitées[1], mais surtout du désir passionné que, par tel ou tel procédé, son corps pût, comme elle le disait, « être préservé de la corruption » et conservé de telle sorte que la vue n’en devînt pas « un objet d’horreur. » Elle voulait en effet que, dans un monument funèbre élevé tout exprès et qui les recevrait un jour tous les deux, son mari put lui rendre visite et contempler encore des traits chéris, préoccupation singulière chez une personne d’un spiritualisme aussi ardent, et qui avait dans la survivance de l’âme une foi aussi robuste. Elle avait commencé par souhaiter que le lit où elle mourrait fût transporté dans ce monument, espérant que, moyennant certaines précautions prises, et à la condition que des parfums y brûlassent jour et nuit, le résultat qu’elle souhaitait pourrait être atteint. Elle voulait que le corps de son mari y fût transporté un jour et que leurs deux cadavres reposassent l’un près de l’autre. Puis, quand on eut réussi à lui persuader que ce qu’elle souhaitait était inexécutable, elle se fit expliquer les différens procédés d’embaumement, entrant dans tous les détails, même les plus pénibles, avec une précision

  1. L’expérience que Mme Necker avait acquise en s’occupant de la création de l’hôpital Necker lui avait appris combien, dans les hôpitaux de Paris, ces inhumations étaient fréquentes. Il est assez curieux de constater que l’une des mesures préconisées par elle, à savoir la création dans les cimetières d’un dépôt provisoire où les morts attendraient pendant l’intervalle légal avant l’ensevelissement, a été adoptée à Paris.