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direction. Dans son Testament politique, le morceau consacré à la puissance sur la mer — ce que nous appellerions, aujourd’hui, « la maîtrise de la mer, » — est capital. Il vise à la fois l’Angleterre et l’Espagne ; « Jamais un grand pays ne doit estre en état de recevoir une injure sans pouvoir en prendre revanche. Et partant, l’Angleterre étant située comme elle est, si la France n’estoit puissante en vaisseaux, elle pourroit entreprendre à son préjudice ce que bon luy sembleroit sans crainte du retour. Elle pourroit empêcher nos pêches, troubler notre commerce, et faire, en gardant l’embouchure de nos grandes rivières, payer tel droit que bon luy sembleroit aux marchands. Elle pourroit descendre impunément dans nos isles et mesme sur nos côtes. Enfin la situation du pays de cette nation orgueilleuse luy ostant tout lieu de craindre les plus) grandes Puissances de la terre, l’ancienne envie qu’elle a contre ce royaume luy donneroit apparemment lieu de tout oser, lorsque nostre foiblesse nous ôteroit tout moyen de rien entreprendre à son préjudice. »

Et voici pour ce qui concerne l’Espagne : « L’utilité que les Espagnols, qui font gloire d’estre nos ennemis présens, tirent des Indes (c’est-à-dire de l’Amérique), les oblige d’estre forts sur la mer Océane. La raison d’une bonne politique ne nous permet pas d’y estre foibles ; mais elle veut que nous soyons en estat de nous opposer aux desseins qu’ils pourroient avoir contre nous et de traverser leurs entreprises... Il semble que la nature ait voulu donner l’empire de la mer à la France, pour l’avantageuse situation de ses deux côtes également pourvues d’excellens ports aux deux mers Océane et Méditerranée... Or, comme la côte du Ponant de ce Royaume sépare l’Espagne de tous les États possédés en Italie par leur Roy, ainsi il semble que la Providence de Dieu, qui veut tenir les choses en balance, a voulu que la situation de la France séparât les États d’Espagne pour les affoiblir en les divisant... »

Mais il sait aussi que, pour subsister, la marine a besoin de colonies. Dans le chapitre du Testament politique, consacré au commerce de la France, il analyse, avec une précision extrême, les avantages des colonies d’Amérique et d’Afrique : nul détail ne lui parait trop minutieux. Et, dans ses Mémoires, il revient à diverses reprises sur la pensée qui le porte à l’action : « Qu’il n’y a royaume si bien situé que la France et si riche de tous les moyens nécessaires pour se rendre maitre de la mer ; que, pour