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petite comédie imaginée, dit-on, par les Allemands afin de distraire et de rassurer les voyageurs. Tout à coup, la cloche se mit à carillonner pour un imaginaire incendie qui aurait éclaté à l’avant ; et tout l’équipage, y compris les cuisiniers, courut aux pompes. Ce fut seulement le mardi soir, au dîner, qu’une nouvelle discussion se produisit, amenée par un incident fortuit de la conversation. L’amiral venait de raconter que, dans l’après-midi, comme il faisait un tour aux troisièmes classes et causait avec des émigrans, un Calabrais lui avait dit : « Nous devrions porter à notre cou des images de saint Christophe Colomb ! » Sur quoi Alverighi ne manqua pas de s’écrier :

— Il a raison, cet homme ! Il a raison ! Le peuple en remontre à l’Église !

Et il nous expliqua cette phrase obscure, en nous disant que, il y a environ un demi-siècle, il avait été question de canoniser Christophe Colomb. Déjà la procédure, favorisée par Pie IX, était en bonne voie ; mais un certain abbé Sanguinetti avait prouvé dans un livre savant, par des documens irréfutables, que Colomb, déjà vieux, avait eu de damoiselle Beatriz Enriquez de Cordova un enfant naturel nommé Fernando. Alors l’illustre navigateur avait été abandonné par tout le monde à mi-chemin sur la route du paradis, et la procédure de canonisation était restée en plan. D’un commun accord, nous blâmâmes l’étroitesse d’esprit du clergé. Mme Feldmann, — ce soir-là, elle était très pâle, et elle portait au cou un nouveau fil de perles, — se plaignit que l’on s’acharnât encore contre la mémoire d’un grand homme qui déjà, de son vivant, avait été si malheureux, Cavalcanti demanda si la découverte de l’Amérique n’avait pas assez de poids pour contre-balancer un concubinage, même sur les balances de la justice divine. L’amiral affirma que, somme toute, et en dépit de Beatriz, Colomb n’aurait pas discrédité le paradis. Seul Rosetti ne dit rien. Pour consoler toute l’assistance, Alverighi ajouta qu’il s’était formé dans l’Amérique du Nord une association dite des Chevaliers de Colomb, afin d’obliger l’Église à placer définitivement au ciel celui qui avait découvert l’Amérique. La conversation s’égara sur Colomb ; je résumai les belles études faites par Henri Vignaud sur cette découverte, et je dis combien je les admirais. D’après M. Vignaud, Colomb n’aurait point songé à découvrir une nouvelle route vers les Indes par le côté de l’Occident,