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un étrange dessein : s’enfuir au fond d’un désert et, là, créer par le feu une nouvelle génération de Titans dociles et fidèles, que Jupiter lui-même ne pourrait ni foudroyer, ni épouvanter, ni corrompre. Ce dessein, il le rumina longuement ; et, quand son plan lui sembla parfait, il s’en ouvrit à Vulcain, que Jupiter envoyait de temps à autre vérifier la solidité des fers : « Pourquoi Vulcain s’obstinait-il à rester dans l’Olympe, lui, le paria des Dieux, le jouet de Jupiter, de Junon, de Vénus et de Mars ? Si Vulcain l’aidait, Prométhée ferait de lui l’unique Dieu de l’Olympe. » Mais Vulcain restait incrédule. Quel Dieu réussirait jamais à créer des êtres intrépides et incorruptibles ? Sur ces entrefaites, Christophe Colomb découvrit l’Amérique. Or il faut savoir que cette découverte causa dans le ciel aussi un grand remue-ménage. En matière de géographie, les anciens Dieux, habitués à gouverner le petit monde méditerranéen, s’étaient depuis longtemps ralliés au principe du maintien du statu quo, ainsi que la diplomatie moderne. Il y eut donc des discussions et des contestations. Fallait-il coloniser l’Amérique avec des nymphes, des faunes, des dryades ou des héros ? Profitant de cette confusion, Prométhée et Vulcain, — lequel finit par se décider, — se sauvèrent en Amérique. Imaginez un peu ce qui se passa dans l’Olympe, lorsqu’on y apprit que le ravisseur du feu n’était plus sur le Caucase ! Jupiter rassembla tout de suite le conseil des ministres, — pardon, je me trompe ! — le conseil des Dieux, et, à l’unanimité, on résolut de destituer le vautour ; puis on discuta longuement sur la question de savoir si l’on enverrait une expédition en Amérique pour rattraper le fugitif. Mais c’était si loin, l’Amérique ! Finalement, Minerve fit une proposition digne de la plus judicieuse des déesses. « L’Amérique, dit-elle, est un immense désert, de sorte que nous ne savons à quel usage la destiner. Eh bien ! faisons-en la prison de Prométhée et de Vulcain, son complice. Abandonnons-leur ce pays. Qu’est-ce que ces scélérats, seuls avec leur feu, pourront faire, dans ce désert où il est impossible que jamais viennent des hommes, si, outre le feu, nous n’y apportons tous les autres biens qui dépendent de nous ? » Cet avis fut approuvé. Seuls de tous les Dieux de l’antique Olympe méditerranéen, Prométhée et Vulcain, exilés, s’établirent en Amérique. Et d’abord, ils errèrent, solitaires et misérables, sur les plaines et les montagnes sauvages de ce nouveau monde : car Vulcain, démoralisé