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confidences ; et enfin il me raconta que Feldmann accusait sa femme d’être insupportable, têtue, pointilleuse, hautaine, se plaignait qu’elle fût jalouse et soupçonneuse, qu’elle l’espionnât sans motif, qu’elle ouvrit ses lettres, qu’elle fit surveiller tous ses pas, toutes ses démarches, toute sa correspondance.

— Et cela est très bizarre, ajouta-t-il ; car, tout à l’heure encore, Mme Feldmann m’affirmait qu’elle n’avait jamais rien soupçonné. Bien malin celui qui se reconnaîtra dans toute cette histoire !...

Je lui demandai alors, sans périphrases, si le mari pouvait avec quelque vraisemblance accuser la femme d’infidélité. Mais, sur ce point-là, sa réponse fut catégorique :

— Non, non Mme Feldmann a toujours été au-dessus de tout soupçon. Je n’ai jamais entendu ni le mari ni personne exprimer le moindre doute à cet égard. Et je serais même tenté d’ajouter que, dès qu’on l’approche, on sent pour ainsi dire que c’est une femme vertueuse. Les griefs de son mari étaient d’une autre nature. Par exemple... (Il hésita un instant.) Par exemple, il m’a confié, un jour, qu’il soupçonnait sa femme... de vouloir l’empoisonner !

— L’empoisonner ! m’écriai-je. Ça, c’est trop fort !

— Il m’a dit qu’il avait plusieurs fois éprouvé de mystérieux malaises et qu’à plusieurs reprises, sa femme s’était étrangement obstinée à vouloir lui préparer du thé et du café de ses propres mains.

Nous nous quittâmes pour la sieste ; mais, tout l’après-midi, je réfléchis à ce que je venais d’apprendre, sans réussir à en tirer quelque lumière. Et je sentais grandir en moi une secrète défiance et presque un commencement d’irritation contre Mme Feldmann. Si elle s’était attiré un semblable malheur, ce n’était certes pas pour rien ! Du reste, ce jour-là, sur le paquebot, on parla beaucoup d’elle et de son aventure : et maintenant, tout le monde inclinait à soupçonner la femme plutôt qu’à accuser le mari. En outre, le propos relatif aux perles fausses, répété par moi la veille, pendant le dîner, avait fait le tour du bateau ; et j’entendis le joaillier tenir sur ce sujet, à la belle Génoise, au docteur de São Paulo et à la femme de celui-ci, des propos assez inattendus. « Cela ne m’étonne pas, déclarait-il. Je m’en suis toujours douté, quoique, à distance et sans avoir les perles dans la main, il soit bien difficile de juger si