à disputer au sujet des œuvres de Rodin. N’avez-vous pas admis, vous et M. Rosetti, qu’en matière d’art, la haine et l’admiration obéissent toujours à un intérêt, quand elles prétendent s’imposer aux autres ?
— En ce qui concerne madame, repartit Alverighi après quelques instans d’incertitude, la chose est claire. Cet intérêt, c’est le patriotisme. Elle est Française.
— Et pour moi ? demanda Cavalcanti.
— Pour vous ? Le cas est plus complexe. Selon toute probabilité, le sentiment auquel vous obéissez est cette sorte d’orgueil qui porte tant de personnes à admirer les artistes assez osés pour entreprendre de révolutionner leur art.
— Mais vous-même, demanda encore Cavalcanti, quel est l’intérêt qui vous pousse à vilipender Rodin ?
De nouveau Alverighi réfléchit quelques secondes ; puis, simplement et sèchement, il déclara :
— Rodin m’est antipathique.
Mais Cavalcanti et Mme Feldmann protestèrent.
— Cela vous semble-t-il un motif suffisant ? demanda le premier.
— Rodin est un homme charmant ! objecta la seconde. Je le connais très bien.
Alverighi ne broncha pas.
— Il m’est antipathique, à moi, reprit-il avec force ; car il a eu le courage d’écrire dans une revue française que, quand on construit les villes, on devrait subordonner toute autre considération à la beauté architectonique, parce que la beauté prime le reste. Oui, tout le reste ! Rodin serait capable de mettre au ban de la civilisation l’Amérique du Nord, par cette seule raison que New-York ne lui plait pas !
— Cela n’a rien d’invraisemblable, répondit Cavalcanti. Et d’ailleurs, dans la bouche d’un artiste, serait-ce une hérésie et un blasphème ? Une exagération, oui ; mais une exagération qui ne m’offense ni ne me surprend, comme je ne suis ni offensé, ni surpris que vous soyez venu en Amérique pour vous enrichir.
— Pour m’enrichir ? Et qui vous a dit cela ?
Telle fut la réponse brusque et imprévue d’Alverighi. De toutes les choses bizarres que l’avocat nous avait débitées depuis plusieurs jours, ce fut celle qui nous étonna le plus. Cavalcanti,