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il n’avait pas le détachement, aimable sans doute mais nonchalant, du lecteur qui poursuit les aventures de son âme parmi les livres des autres. Il voulait tirer de cet examen un enseignement général. Ce qui le frappait le plus, c’était la contradiction des théories formulées par des hommes qui semblaient parfois également remarquables, et pareillement sincères. Il jugeait que les oppositions entre la liberté et le déterminisme, entre l’individu et le socialisme, entre la science des mœurs toute matérialiste et la morale spiritualiste, étaient de nature à jeter la confusion dans la vie humaine, et il souhaitait de les faire disparaître. Il a consacré sa vie à opérer des rapprochemens entre les idées qui paraissaient contradictoires. Cette méthode de conciliation était peut-être moins inspirée par des raisons d’ordre spéculatif que par des besoins, d’ordre moral. Pour Alfred Fouillée, la pensée n’a jamais été un jeu sans relation avec le réel. Bien au contraire, et ce sentiment a donné à son œuvre beaucoup de gravité, il a toujours songé aux fins dernières des idées qui sont de passer dans la vie : il a toujours eu en vue la pratique, la société, son pays. Or dans le temps où il vivait, il découvrait des discordances inquiétantes. Élevé sous l’Empire, alors que la République se préparait « une réputation d’ancienne beauté, » formé aux sentimens et aux espérances de l’opposition, il demeurait très attaché à toutes ces notions de démocratie, de société émancipée, de réglementation d’allure scientifique auxquelles a cru le XIXe siècle finissant. Mais il avait été habitué aussi aux grandes disciplines des humanités ; il avait reçu la culture de l’antiquité, il avait fréquenté les plus belles philosophies de tous les temps, et il voyait bien que des idées qui lui étaient chères risquaient d’être affaiblies par les doctrines de son temps. Il n’a rien voulu abandonner ; il a tâché de mettre une sorte d’ordonnance dans la diversité qui s’offrait à sa méditation ; il a préféré concilier que choisir et conclure.

Ainsi s’explique à la fois la variété et l’unité de son travail. Il a eu très vite un point de vue sur l’esprit humain, sur la nature de l’intelligence, sur les idées-forces. Et de ce point de vue il a regardé les théories psychologiques, morales et politiques pour chercher par où il les pouvait rapprocher. Son rêve aurait été de donner à son temps une philosophie générale, faite de ce qu’il y a de meilleur en toutes les philosophies, et pourvue