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des physiciens, et telle est la force de leur méthode que lorsque plus tard leurs successeurs feront de nouveau le rêve de construire un système de l’univers, ils mettront l’explication suprême dans l’idée morale du Bien. Socrate d’ailleurs ne néglige pas la métaphysique, mais il la subordonne à la morale et il est ainsi le fondateur de ce que l’on a nommé la métaphysique religieuse. L’objet de sa science, c’est toute la vie humaine : cette définition ne va pas sans un examen de la conduite de l’homme à l’égard de la divinité. Ce qu’il importe de trouver, ce sont toutes les règles qui permettront à l’homme de vivre heureusement dans la cité, c’est de former l’homme libre, tel que l’imagine l’esprit athénien, l’ « honnête homme, » disait-on au grand siècle. La science ne doit pas avoir d’ambitions trop vastes et d’ailleurs inutiles ; elle doit être utile à la vie, et l’expérience prouve que l’esprit est capable de cet effort précis. La préoccupation de l’ « utile » domine la philosophie socratique, pourvu que l’on donne à ce mot tout son sens : l’idéal qu’elle propose est en effet la « vertu, » parce que sagesse, vertu, bonheur, sont trois termes ayant le même contenu. Il y a là un enseignement qui répond trop aux préoccupations d’Alfred Fouillée pour qu’il ait jamais pu l’oublier. Ces tendances positives mêlées d’idéalisme sont les siennes. Comme un disciple de Socrate, il est plus moraliste que physicien ; il a les yeux tournés vers la cité. Il a même écrit un jour, dans un langage certes peu antique, ces mots significatifs : « Nous sommes pressés par la grande œuvre à accomplir, qui n’est autre que la transformation de la société selon les règles d’une justice plus haute : l’égoïsme intellectuel et esthétique est plus qu’une faute morale, c’est un crime social. » Dans la philosophie socratique, il a trouvé dès sa jeunesse ce souci de la vie, de la raison pratique, de l’expérience, auquel il affirmait encore, en écrivant son dernier ouvrage, avoir toujours fait une place considérable.

Mais ce monde de l’expérience où nous agissons, ce monde des réalités sensibles n’était pas pour la sagesse antique le seul existant. L’enseignement de Socrate consistait à définir les notions morales et le rapport qui les unit : il donnait donc un rôle privilégié à la notion du bien, qui est la pensée divine, si bien que sa philosophie pratique reposait sur le dogme de la Providence et des causes finales. En étudiant Platon, Fouillée connut que le disciple était allé beaucoup plus loin que le maître.