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sa propre cause, le musicien de Fervaal est un juge excellent : « J’ai cependant essayé (dans le troisième acte) de rester aussi latin, c’est-à-dire aussi purement expressif qu’il était possible à mon tempérament. Je n’y ai peut-être pas réussi, mais je vous assure que j’ai essayé avec bonne foi. » Le très sincère et très noble artiste ne s’abuse ici que sur un seul point, et par modestie. Il a fait mieux, beaucoup mieux, qu’« essayer, » en ce troisième acte, simplement admirable, et de plus — l’interversion des mots est significative — admirable simplement. « Latin, c’est-à-dire expressif, » oh ! la belle, et féconde, et précieuse définition, et qui prend, sous la plume, par la voix de M. Vincent d’Indy, plus de valeur encore ! Oui, sous les réserves et les restrictions qu’impose à M. d’Indy sa nature ou son tempérament, la beauté de ce dernier acte est latine. Elle l’est premièrement parce qu’elle consiste dans la composition et l’ordonnance, dans la vaste généralisation, dans la suite et l’ampleur du développement. Ici, plus, ou presque plus, en tout cas beaucoup moins de hachures, de morcellement et d’émiettement. Et surtout, au lieu de la volonté seule et de la seule intelligence, de la contrainte et de la rigueur, la détente, l’indépendance, et le don, l’abandon de soi-même, l’effusion d’une sensibilité, d’une démotion spontanée et libre. Le prélude est une page insigne de musique descriptive avec grandeur, riche en effets pittoresques, témoin certaines gammes rapides et ruisselantes à travers l’orchestre, mais dont le pittoresque ne diminue en rien la valeur spécifique et la pure musicaUté.

Le rideau levé, l’orchestre commente par une symphonie singulièrement expressive les gestes, ou plutôt l’immobilité muette de Fervaal pénitent. La musique, toute la musique, est vraiment ici, comme le paysage et comme l’âme du héros, grandiose et désolée. Sans doute quelque longueur, un peu d’obscurité, nous gâte encore le dialogue entre Arfagard et Fervaal, et l’entretien suivant de Fervaal avec Guilhen, mais l’impression générale de pureté, de noblesse est la plus forte. Et puis, en ces dernières scènes, les haltes, ou plutôt les mouvemens, les élans de lyrisme ne sont pas rares. S’ils ont peu de durée, ils ont du moins de la décision et de la précision. Indiqués plutôt que développés, ils se traduisent pourtant par des formes très nettes et dont la nouveauté, même la hardiesse harmonique, s’accommode sans peine et sans honte, nous ne dirons pas de la répétition, mais de quelque régularité et d’un semblant de symétrie. Certain lamento de Fervaal : « Ils dorment, tous ceux que j’aimais ! » offre, en sa brièveté, je ne sais quelle apparence strophique. Plus loin,