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encore assez éloigné. Sera-ce demain, ou dans plusieurs semaines ? Un assaut heureux interrompra-t-il brusquement cette résistance acharnée ? Qui pourrait le dire ? Le dénouement est pourtant inévitable, et, tout en admirant, comme il convient, l’indomptable énergie dont les Turcs font preuve sur ce point particulier, nous ne pouvons pas souhaiter qu’Andrinople tienne encore longtemps, car beaucoup de vies humaines sont sacrifiées sans résultat bien appréciable, et la situation générale reste obscure, avec les dangers que nous y avons souvent signalés.

Que ces dangers ne soient pas dissipés, un fait tout récent en est la preuve : nous voulons parler de la lettre que l’empereur d’Autriche vient d’adresser à l’empereur de Russie. Cette lettre est jusqu’ici restée secrète ; peu de personnes savent ce qu’elle contient, et si cette incertitude permet toutes les suppositions, elle conseille encore plus de n’en faire aucune. La lettre a été remise à l’empereur Nicolas avec un apparat inaccoutumé : le prince Godefroy de Hohenlohe a été envoyé de Vienne à Saint-Pétersbourg pour la déposer entre les mains de l’auguste destinataire. Évidemment on a voulu attirer l’attention sur cette démarche, comme pour indiquer qu’elle était très importante. Si le texte de la lettre justifie cette mise en scène et les espérances qu’elle a fait naître, c’est ce qu’on ne saura que plus tard, peut-être même beaucoup plus tard. À dire le vrai, la lettre impériale n’aura eu un réel intérêt politique que si elle a proposé, sur une base un peu précise, une diminution des armemens que l’Autriche et la Russie ont accumulés dans ces derniers temps ; mais il n’est pas prouvé que la lettre ait contenu rien de semblable. Il y faut voir, néanmoins, une tentative loyalement faite pour amener une détente entre les deux pays. Que l’empereur François-Joseph la désire, personne n’en doute ; il est sincèrement pacifique ; l’expérience qu’il a faite de la guerre dans sa jeunesse ne l’a pas engagé à la continuer dans son âge mûr, ni à plus forte raison dans sa vieillesse ; il désire sincèrement que les choses s’arrangent ; mais, comme dit le proverbe, qui veut la fin veut les moyens, ou du moins doit les vouloir, et il n’est pas sûr que le gouvernement austro-hongrois se rende bien compte des moyens nécessaires pour écarter les dangers qui, de son fait, pèsent sur l’Europe. Nous ne sommes pas de ceux, on le sait, qui, après les événemens balkaniques où tant de calculs ont été déjoués, se sont quelque peu déchaînés contre l’Autriche-Hongrie à cause de ses armemens. Loin de là, nous avons reconnu les intérêts particuliers très sérieux, très complexes, très graves, que l’Autriche avait dans les