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LAURE.

de ces deux détours. L’horizon y est borné. Des lignes sveltes de peupliers voilent à demi la rivière. Sur la crête de l’une des collines une chapelle romane, courte et rude, avance sa face pauvre, percée de deux jours pour les cloches. Dans le bas une ferme ; puis, se dressant à demi au-dessus du feuillage d’un parc, une belle maison ancienne, d’un dessin compliqué, faite de morceaux un peu disparates et d’époques diverses, grosses tours pesantes et tourelles aiguës, pignons, lucarnes, fouillis de toits concaves ou renflés, moussus, fatigués, presque onduleux par endroits, et enrichis de toutes les teintes fanées de la tuile. Cette maison plaît dès qu’on l’aperçoit, comme une bonne personne sympathique qui aurait sa vie et sa mémoire. On devine que c’est une chose précieuse et depuis longtemps aimée. Il y a une harmonie entre le site et cette demeure d’un grand âge : on sent que ce n’est pas sans motif qu’il a été autrefois préféré et choisi, et cette volonté même dispose à en éprouver le mérite secret.

De la hauteur, la vue s’étend sur un paysage très vaste ; à l’Ouest, on découvre des montagnes : la chaîne de la Madeleine qui, à une vingtaine de kilomètres, dresse brusquement sa masse ; en face d’elle, les monts d’Auvergne avec leur rangée de pics et de cratères, petits, effilés, déchiquetés, qui, par les beaux crépuscules, semblent hausser leur dentelle violette sur un fond de pourpre. La plaine du Bourbonnais, après avoir été longtemps étranglée entre ces deux rangées de hauteurs, ici, laissée libre, s’ouvre, s’étale et s’amollit ; elle se pare de collines, elle prend un aspect doux, frais, riant, voluptueux, avec des lignes vaporeuses et déliées qui rappellent les pays florentins. Çà et là, l’Allier, dans sa gaine de sable, montre, au travers d’un cortège de saules et de peupliers pâles et tremblans, un tournant de son cours comme une flaque de lumière. Beaucoup de villages, de châteaux, signe de richesse et de bien-être. Larges horizons, lignes fuyantes qui entraînent la pensée ; mollesse et songerie ; beaux soirs limpides où le soleil adoucit peu à peu sa lumière avant de la retirer des prairies ; point d’élévation, point de grandeur, mais un sourire perpétuel.

Voilà donc ce que l’on découvre de la crête des coteaux ; mais quelques minutes de descente, et le site resserré où la maison de la Mettrie étage ses toits antiques parait, au flanc de la plaine, comme un autre univers. Un monde recueilli, fermé.