même temps, la vocation littéraire naissait. Dès quatorze ans, il écrivait des vers, d’assez pauvres vers, à ce qu’il semble ; mais si l’on songe qu’Edouard Rod a composé des vers toute sa vie, il est intéressant de saisir là, à sa source, cette veine de poésie, et de lyrisme même, qui s’est épanchée plus d’une fois dans les romans de l’auteur du Silence :
Ou bien, fixant rues yeux sur l’étendue immense,
Regardant la forêt, le lac bleu, le ciel noir,
Où, tout en souriant, la pâle lune avance,
Je pense à Dieu, le soir[1].
Le Dieu auquel il pensait alors n’était assurément pas le Dieu des darbystes. Tout jeune, il avait été conduit aux bizarres réunions de la secte, et ce « gavage pieux, » trop contraire aux dispositions très humaines, aimables, conciliantes de sa propre nature, ne lui avait laissé que d’importuns souvenirs. Les darbystes, dans ses romans suisses, n’ont jamais le beau rôle, et ils en ont parfois un odieux. Peu s’en fallut même qu’il n’enveloppât, au moins par momens, — voyez Côte à Côte[2], — dans son antipathie pour le darbysme, le protestantisme lui-même. L’un des biographes les mieux informés et les plus pénétrans d’Edouard Rod, M. Paul Seippel, observe que, dans le canton de Vaud, la Réforme n’a jamais été un fruit naturel du sol, mais une importation bernoise, imposée par la politique et
- ↑ Paul Seippel, Le Cahier brun d’Edouard Rod, Journal de Genève du 17 avril 1910. — Parmi les vers d’Edouard Rod, citons ici cette pièce intitulée Spleen, qui date de 1889, et qui était restée célèbre dans le petit cercle de ses intimes :
L’Ennui cruel, l’Ennui mortel, le cher Ennui
Etend sur moi le dais de ses deux larges ailes
Dont l’ombre à reflets noirs flotte derrière lui,
Ainsi qu’un manteau lourd et brodé de dentelles.
L’Ennui cruel est doux aux cœurs qu’il accoutume
A la subtilité de ses parfums troublans ;
L’Ennui cruel est un poison sans amertume,
Dont j’aime à savourer les effets sûrs et lents.
L’Ennui mortel est un bon guide, qui conduit
Par des chemins ombrés au repos taciturne,
En suivant, de sa voix fluette, dans la nuit,
Les rythmes alanguis et doux de son nocturne
Le cher Ennui m’est un ami sûr, et qui m’aime,
Jusqu’à se dévouer à faire à mon côté
Le long voyage vain que j’accomplis moi-même...
Ah ! l’ami sûr, et qui ne m’a jamais quitté !... - ↑ C$oe à côte a pour sous-titre les Protestans, comme si l’auteur avait voulu en souligner l’intention satirique.