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quittée. Qu’il m’en a coûté de ne pas verser des larmes dans ton sein en te voyant partir ! Et cependant ce que nous avons fait l’un et l’autre était bien plus raisonnable. Jamais il ne m’en a tant coûté de me séparer de toi ; jamais je ne t’ai mieux sue par cœur ; jamais je ne t’ai tant aimée. Hélas ! c’est une grande fatalité que celle qui me sépare de toi et je ne m’absous pas si absolument, il s’en faut bien, que tu l’as fait, en partant, avec tant de générosité. J’approuve parfaitement le parti que tu as pris et j’espère que tout tournera bien. Tu m’as donné pour mission de soigner ma santé ; je le ferai de mon mieux à cause que la recommandation vient de toi. J’ai été désolé du mauvais temps que nous avons eu dimanche pour passer la montagne. Le voilà revenu au beau et je ne le boude pas moins. J’ai reçu la lettre de Morez fort exactement. Bonne petite ! Je te voyais écrire sur une petite table d’auberge, Albertine à tes côtés, et un tourniquet dans la main. Ta cousine était avec moi quand ta lettre est arrivée. Elle a été ravie de celle que tu avais laissée pour elle à Coppet ; elle était attendrie et flattée ; elle trouvait ton style un diamant. Quel mot en effet que : Et n’êtes-vous pas moi perfectionnée ? Chère Minette, il est bien décidé que tu es la personne la plus aimable et la plus spirituelle du monde connu. Ne pouvons-nous rien faire de cela pour ton bonheur ?

Il n’y a rien de nouveau à ma connaissance ; sois sage et prudente comme tu y es résolue.

À toi, ma Minette, de nouvelles caresses ; à toi tout ce que je connais de plus tendre et de plus aimant.

D’une lettre postérieure de quelques jours, je détache encore ce post-scriptum :

L’ami qui t’a rencontrée à Dijon croit fermement au succès de la descente et les détails dans lesquels il entre à l’appui de son opinion sont très remarquables. C’est un homme prodigieux que le Consul.

Le 26 septembre, Mme de Staël arrivait à Maffliers. La maison où elle s’installait était petite, humide, froide. Souvent elle s’en plaindra. Dès le lendemain, elle écrivait à son père. Dans le haut de lettre, à côté de la date, sont écrites ces quelques lignes : « Je te prie de garder ces lettres ainsi écrites. J’en veux faire une sorte de journal. » À cette mention est due, probablement, la conservation de ces lettres.

Ce 27 septembre.

Je commence, cher ami, une lettre que je n’enverrai peut-être pas tout de suite parce que je voudrais réunir encore plus de détails sur ce qui me touche.

E. et Garat disent que j’ai mal fait de ne pas venir à Paris, qu’il n’en serait rien résulté de plus que l’humeur assez calme qu’il a témoignée