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échec les forces du Monténégro, mais sa situation ne ressemble ni à celle de Janina, ni à celle d’Andrinople, car les Puissances européennes se sont préoccupées de son sort et ont pris soin de le régler. La situation d’Andrinople était tout autre. Depuis longtemps déjà les Puissances avaient donné à la Porte le conseil formel de l’abandonner à la Bulgarie : si elle l’avait fait, la guerre aurait été moins longue et moins sanglante, elles exigences des alliés auraient été finalement moins élevées qu’elles menacent de l’être à présent. On n’a pas oublié que Kiamil pacha, alors grand vizir, avait, avec l’adhésion à peu près unanime d’un Divan solennel, décidé de se conformer à la suggestion de l’Europe : c’est alors qu’une émeute de caserne, fomentée par Enver-bey, a renversé Kiamil pour lui substituer Mahmoud Chefket pacha, qui est arrivé au pouvoir en enjambant le cadavre de Nazim. A quoi a servi ce dernier coup de main, ce dernier spasme de la Jeune-Turquie, on le voit aujourd’hui. Son objet avoué était précisément de s’opposer à la cession d’Andrinople : les Bulgares n’avaient qu’une réponse à faire, celle qu’ils ont faite en prenant la ville. Sans doute, la résistance d’Andrinople, prolongée au delà de toutes les prévisions, est un beau fait d’armes qui honore l’armée ottomane au milieu de ses malheurs ; mais cet effet était déjà produit avant que les hostilités recommençassent, et quelques semaines de plus n’y ont rien ajouté. D’autre part, les fatalités premières qui ont, du côté ottoman, pesé sur cette guerre, ont continué d’accabler jusqu’au bout l’infortunée Turquie. Pouvait-il d’ailleurs en être autrement ? Si Andrinople n’était pas prise d’assaut, elle aurait succombé inévitablement un jour prochain, quand les vivres et les munitions auraient été épuisés. Les Bulgares auraient pu se contenter d’attendre ; mais ils ont voulu remporter un dernier trophée et finir la guerre par un coup d’éclat, comme ils l’avaient commencée. Ils y ont brillamment réussi.

Revenons à Scutari. Sur ce point, la situation était plus compliquée. Depuis longtemps déjà, l’Autriche avait déclaré que si Scutari tombait entre les mains des Monténégrins, il n’y resterait pas. Scutari devait appartenir à l’Albanie ; il était indispensable à la solidité de la nouvelle principauté. Cette prétention de l’Autriche pouvait être contestée ; elle l’aurait été sans doute si les Monténégrins s’étaient emparés de la ville ; mais ils n’en sont pas venus à bout, et la longueur du siège a permis au Cabinet de Vienne de faire triompher sa politique. Il a réussi d’abord à y rallier l’Italie et, ce qui semblait encore plus difficile, à décider la Russie à y donner son consentement. Des alliances politiques, des alliances de famille avaient resserré des liens anciens