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10 février.

Tu me répètes que tu as beau chercher une issue à ta situation, tu ne la trouves point. C’est, je te le redis, que tu comptes pour rien le secours du temps, et ne sais-tu pas aussi combien ton imagination t’a trompée jusqu’à présent, en bien et en mai ?


15 février.

Je ne suis pas surpris que l’éclat de l’administration de Buonaparte te fasse regretter sa faveur. Tout lui réussit et il sait battre et faire marcher l’opinion au point même de pouvoir se passer des onze substantifs avec lesquels Rœderer a cherché à faire valoir le nouvel ordre administratif, ordre qui est un retour aux anciens intendans sous d’autres noms[1]. Comment Buonaparte, membre de l’Institut, a-t-il oublié dans son Panthéon Newton et Descartes ; Aristide aussi, mais selon les goûts, aurait été bien là, mais avec les seuls héros qu’on a choisis l’antichambre sera belle.


30 pluviôse.

Je vois avec plaisir que tu as toujours beaucoup de goût à louer Buonaparte, et il y a de quoi jouir en ce genre, tant il montre de talent et de savoir faire. Je doute qu’il voulût faire une banqueroute partielle aux inscriptions[2] qui sont déjà si mal traitées. Serait-il sûr même, que les Conseils y concourussent, et pourrait-il se passer de leur adhésion ? Haller applaudit beaucoup, m’a-t-on dit, à tout ce que fait Buonaparte…

Tu m’appelles cruel, et moi je te dirais bien quelque petite injure, si je t’aimais moins, et pourtant elle serait bien douce. Adieu, chère Minette.

Ce Haller dont le nom revient pour la seconde fois était un des fils du célèbre philosophe et naturaliste qu’on appelle communément le grand Haller, sans qu’il soit possible de dire avec certitude si c’est à cause de sa taille exceptionnellement élevée, ou à cause de son très réel mérite. Emmanuel Haller avait mené une vie fort différente de celle de son père. Il s’était lancé, au moment de la Révolution, dans les affaires de banque, de commerce et en particulier de fournitures aux armées. En 1796, il avait exercé les fonctions d’administrateur et de trésorier général de l’armée d’Italie que commandait Bonaparte. Sa réputation était douteuse et il avait été plusieurs fois l’objet d’accusations

  1. M. Necker fait ici allusion à la loi du 28 pluviôse qui créait les préfets et dont Rœderer avait fait l’étoffe dans un article.
  2. Les Inscriptions de rente sur l’État. M. Necker en possédait un assez grand nombre.