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LAURE[1]

PREMIÈRE PARTIE

Il faut avoir parcouru la monotonie de pays sans passé et dénués d’histoire pour connaître l’inestimable prix des souffles spirituels flottant dans les lieux qui ont porté de nobles événemens. De tels endroits signalés par le souvenir de quelque haute circonstance de vie humaine semblent pénétrés de mémoire et de sens et comme revêtus d’une clarté légère. Au sortir de longs décors vides, de paysages ternes, évocateurs d’existences vulgaires, ils accueillent avec un visage d’amitié. Il n’est pas nécessaire que des princes aient entre-choqué là leurs armées ou que des destins de royaumes s’y soient décidés : un simple drame intime peut avoir été assez marqué de grandeur pour jeter sur les lieux qui l’ont vu ce reflet de beauté immatérielle.

Maisons anciennes aux volets un peu retombans et disjoints, châteaux solitaires dans les vallons, combien en est-il à travers les campagnes de France, qui, le long de leur passé, ont abrité de ces éminentes tragédies ! Sacrifices, dévouemens, piété, profonds dialogues intérieurs, volontés libérées des mobiles ordinaires du monde, haute sagesse acquise dans les larmes, tout ne s’est pas évaporé sur l’heure : une empreinte est demeurée, un parfum de légende et de respect. Endroits élus, joyaux dissé-

  1. Copyright by Bernard Grasset 1912.