Nous y avons travaillé toute la journée, M. Vazquez et moi.
Effectivement, pendant tout le repas, Alverighi ne fit guère que causer à demi-voix, en espagnol, avec son associé, lui montrer des papiers, prendre des notes au crayon ; et il prêta fort peu d’attention aux paroles suivantes que prononça Cavalcanti, vers la fin du diner.
— Vous m’avez convaincu, j’en conviens, dit le diplomate à Rosetti. Que toute école d’art ou toute forme de littérature ait pour base certains principes arbitrairement limités et, en ce sens, conventionnels, cela me paraît vrai, au moins dans une certaine mesure. Peut-être quelque grand artiste a-t-il parfois, grâce à son génie, le privilège de se poser en dehors du temps et de l’espace, de n’appartenir ni à une patrie ni à une époque, de créer ses chefs-d’œuvre en vertu de principes qui lui sont propres : — par exemple Dante, Michel-Ange, Victor Hugo ; — mais ceux-là sont rares. Et au surplus cela n’est pas vrai seulement de l’art, c’est vrai aussi du droit. J’y songeais ce matin. Qu’est-ce que l’on appelle le droit, la légalité, l’ordre, sinon une convention limitée ? Les doutes et les disputes sur le juste et l’injuste ne finiraient point, et, pour les trancher, il faudrait chaque fois recourir à la force, si un acte de « la volonté grande, » comme vous dites, volonté personnifiée soit en Dieu soit en l’État, ne posait et n’imposait des principes limités et provisoires que, par convention et durant un certain temps, on admet comme d’indiscutables critériums de la justice. Nous rions de ce que les monarchies absolues reconnaissaient au Roi le droit de gouverner en vertu de cette seule raison : qu’il était supposé fils de son père. Mais les principes sur lesquels repose le régime parlementaire sont-ils plus sérieux ? Un homme ou un parti acquièrent-ils toutes les qualités qui seraient nécessaires pour bien gouverner un État par le seul fait que la majorité du Parlement pense ou dit, — car il arrive souvent qu’elle le dit sans le penser, — que cet homme ou ce parti les possèdent ? Non. Mais chaque homme, chaque parti se croit le plus digne de gouverner ; et il faut bien établir certaines règles qui permettent de choisir sans décider à coups de fusil. Et que fait la diplomatie ? Que faisons-nous, nous les diplomates, sinon discuter sans excès de bonne foi les applications de certains principes conventionnels que, pour leur donner un nom imposant, on appelle droit international ? Il en est de même pour l’Étiquette,