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d’inquiétude. L’Autriche-Hongrie avait pris l’initiative d’une manifestation navale et on ne savait pas encore si toutes les autres Puissances y participeraient. Un désaccord pouvait se produire, ou du moins une différence d’attitude et de conduite qui y aurait fait croire. Le gouvernement anglais, par l’organe de sir Ed. Grey, déclarait qu’après la résolution arrêtée en commun de maintenir Scutari à l’Albanie, il ne serait pas « honorable » de ne pas prendre part à la manifestation navale, et un pareil mot, dans sa bouche, avait un grand poids. Néanmoins, l’Angleterre se tournait du côté de la France, et la France du côté de la Russie. C’est alors que celle-ci, tout en disant qu’elle ne pouvait pas se joindre à la manifestation navale parce qu’elle n’avait pas de vaisseaux dans la Méditerranée, a demandé, avec la plus grande insistance, à la France et à l’Angleterre d’y participer pour leur compte et même pour le sien. Sa parfaite loyauté apparaissait déjà avec évidence. Cependant le gouvernement russe a fait plus ; il a voulu dissiper une fois pour toutes les incertitudes qu’on attribuait, avec plus ou moins de sincérité, à sa politique, et M. Sazonoff a fait à la presse un communiqué qui ne laissait plus aucun doute sur la fermeté de ses résolutions. Ce communiqué a agi comme un coup de théâtre ; il a immédiatement produit une détente. Le gouvernement serbe, désillusionné, s’est empressé de rappeler ses troupes qui concouraient avec l’armée monténégrine au siège de Scutari, et l’Europe s’est retrouvée unie.

Il est vrai que Scutari a succombé tout de même, soit qu’il ait été pris, soit qu’il ait été vendu et livré. Au premier moment, cette nouvelle a produite Vienne une émotion très vive et très naturelle. Le gouvernement austro-hongrois s’est demandé si la politique d’action commune n’avait pas fait faillite. On lui avait dit que cette politique garantirait ses intérêts, tels qu’elle les a compris, tels que l’Europe les a reconnus ou acceptés. On lui avait notamment donné l’assurance que Scutari appartiendrait à l’Albanie et Scutari est passé entre les mains du Monténégro. Il y a eu là une déconvenue sans doute, mais elle n’a rien d’irréparable. Un échange de vues rapide a eu lieu entre les divers Cabinets ; la Réunion des ambassadeurs a tenu une nouvelle séance à Londres ; les Puissances ont toutes persisté dans la politique qu’elles avaient arrêtée, et elles ont fait savoir au gouvernement monténégrin qu’il aurait à évacuer une ville occupée par lui contre leur volonté. On a dit que l’Autriche exigeait cette évacuation dans les quarante-huit heures, mais cette allégation n’a pas été confirmée. On a parlé d’une communication d’un caractère intransigeant que l’Autriche