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inauguré en Italie la méthode exégétique des Orientaux. Il découvrait dans l’Écriture des sens allégoriques, tantôt édifians, tantôt profonds, toujours satisfaisans pour un esprit raisonneur. Augustin, qui avait un penchant à la subtilité, goûtait fort ces explications ingénieuses, quoique souvent forcées. La Bible ne lui paraissait plus aussi absurde. Enfin les immoralités que les manichéens reprochaient tant aux Livres saints, Ambroise les justifiait par des considérations historiques : ce que Dieu ne permettait plus aujourd’hui, il avait pu le permettre autrefois, eu égard à l’état des mœurs. Cependant, de ce que la Bible n’était ni absurde, ni contraire à la morale, cela ne prouvait pas qu’elle fût vraie. Augustin ne sortait point de ses doutes.

Il aurait souhaité qu’Ambroise l’aidât à en sortir. Plusieurs fois, il essaya d’en conférer avec lui. Mais l’évêque de Milan était un personnage si occupé ! — « Il m’était impossible de l’aborder, dit Augustin, pour l’entretenir de ce que je voulais, comme je le voulais, séparé que j’étais de son oreille et de ses lèvres par une foule de gens qui l’importunaient de leurs affaires et qu’il assistait dans leurs nécessités. Le peu de temps qu’il n’était pas avec eux, il l’employait à réparer les forces de son corps par les alimens nécessaires, ou celles de son esprit par la lecture. Mais, quand il lisait, ses yeux parcouraient les pages, son cœur s’ouvrait pour les comprendre, sa voix seule et ses lèvres demeuraient en repos. Il m’arriva souvent qu’étant venu le visiter (car tout le monde pouvait entrer chez lui sans être annoncé), je le trouvais lisant en silence et jamais autrement. Je m’asseyais et, après être resté longtemps sans rien dire (qui eût osé troubler un lecteur si absorbé ?) je me retirais, présumant que, pendant les courts instans qu’il pouvait saisir, pour délasser son esprit fatigué du tracas de tant d’affaires étrangères, toute distraction nouvelle lui serait importune. Peut-être aussi était-ce dans la crainte qu’un auditeur attentif et embarrassé ne le surprît en quelque passage obscur et ne le mit dans la nécessité de l’expliquer, ou de discuter quelques questions plus difficiles, et de perdre dans ces explications le temps qu’il destinait à d’autres lectures… Au surplus, quelle que fût l’intention qui le fît agir, elle ne pouvait être que bonne dans un homme d’une si haute vertu… »

On ne saurait commenter plus finement, — ni plus malicieusement