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qui échappe à toute discipline rationnelle. Avant d’éclater à la lumière, il se prépare longuement dans cette région obscure de l’âme, qu’on appelle aujourd’hui la subconscience. Or, personne n’a plus vécu ses idées qu’Augustin, à ce moment-là de sa vie. Il les a prises, quittées, reprises, obstiné en son désespérant effort. Elles reflètent, sans ordre, la mobilité de son âme, les agitations qui en troublaient les profondeurs. Et pourtant, il ne faut pas que ce fait intérieur soit en contradiction violente avec la logique. La tête ne doit pas empêcher le cœur. Chez le futur croyant, un travail parallèle s’accomplit dans l’ordre du sentiment et dans celui de la pensée. Si nous ne pouvons pas en reproduire les marches et les contremarches, en suivre la ligne continuellement brisée, nous pouvons du moins en marquer les principales étapes.

Rappelons-nous l’état d’esprit d’Augustin, lorsqu’il vint à Milan. Il était sceptique, de ce scepticisme qui considère comme inutile toute spéculation sur le fond des choses et pour qui la science n’est qu’une approximation du vrai. Vaguement déiste, il ne voyait en Jésus-Christ qu’un homme sage entre les sages. Il croyait à Dieu et à sa providence : ce qui fait que, tout en étant rationaliste de tendance, il admettait l’intervention divine dans les choses humaines, — le miracle : ceci est un point important, par où il se différencie des modernes.

Puis, il écouta les prédications d’Ambroise. La Bible ne lui paraissait plus absurde, ni contraire à la morale. Cette exégèse, tantôt allégorique, tantôt historique, était acceptable, en somme, pour de bons esprits. Mais ce qui frappait surtout Augustin, c’était, avec la sagesse, l’efficacité pratique de l’Écriture. Ceux qui vivaient selon la règle chrétienne étaient non seulement des gens heureux, mais, comme le dira Pascal, de bons fils, de bons époux, de bons pères de famille, de bons citoyens. Il commençait à soupçonner que la vie d’en bas n’est supportable et ne prend un sens que suspendue à celle d’en haut. De même que, pour les nations, la gloire est le pain quotidien, de même, pour l’individu, le sacrifice à quelque chose qui dépasse le monde est le seul moyen de vivre dans le monde.

Ainsi Augustin corrigeait peu à peu les idées fausses que les manichéens lui avaient inculquées touchant le catholicisme. Il avouait qu’en l’attaquant, il avait « aboyé contre une pure chimère de son imagination charnelle. » Cependant il éprouvait