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peut exister une réalité, en dehors de toute représentation spatiale. Il conçut Dieu comme inétendu et pourtant infini. Le sens de la spiritualité divine lui était donné. Puis la nécessité primordiale du Médiateur ou du Verbe s’imposa à son esprit. C’est le Verbe qui a créé le monde. C’est par le Verbe que le monde et Dieu et toutes choses, y compris nous-mêmes, nous sont intelligibles. Quelle surprise ! Platon et saint Jean se rencontraient : « Au commencement était le Verbe, in principio erat Verbum ! » dit le quatrième Évangile. Mais ce n’était pas seulement un évangéliste, c’était presque tout l’essentiel de la doctrine du Christ qu’Augustin découvrait dans les dialogues platoniciens. Il distinguait bien les différences profondes, mais, pour l’instant, il était frappé surtout par les ressemblances, et cela l’éblouissait. ; Ce qui le ravissait d’abord, c’est la beauté du monde, construit, à sa propre image, par le Démiurge : Dieu est la Beauté, le monde est beau comme Celui qui l’a fait. Cette vision métaphysique transportait Augustin, tout son cœur bondissait vers cet Être ineffablement beau. Soulevé d’enthousiasme, il s’écrie : « Je m’étonnais de t’aimer, mon Dieu, et non plus en vain fantôme. Si je n’étais pas encore capable de jouir de toi, j’étais emporté vers toi par ta beauté. »

Mais un tel ravissement ne se soutenait point : « Je n’étais pas capable de jouir de toi. » Voilà l’objection capitale d’Augustin contre le platonisme. Il sentait bien qu’au lieu de toucher Dieu, d’en jouir, il ne sortait pas des purs concepts de son esprit, qu’il s’égarait toujours dans les fantasmagories de l’idéalisme. A quoi bon renoncer aux réalités illusoires des sens, si ce n’est point pour en posséder de plus solides ? Son intelligence, son imagination de poète pouvaient être séduites par le mirage platonicien, son cœur n’était point rassasié. « Autre chose, dit-il, est d’apercevoir, du haut d’un pic sauvage, la patrie de la paix, autre chose de marcher dans le chemin qui y conduit. »

Ce chemin, c’est saint Paul qui le lui montrera. Il commença à lire assidûment les Épîtres, et, à mesure qu’il les lisait, il prenait conscience de l’abime qui sépare la philosophie de la sagesse, — celle-là qui assemble les idées des choses, celle-ci, qui, par delà les idées, conduit jusqu’aux réalités divines, auxquelles les autres sont suspendues. L’Apôtre enseignait à Augustin qu’il ne suffit pas d’entrevoir Dieu à travers le cristal des concepts, mais qu’il faut, en esprit et en vérité,