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soi, elle n’est qu’en Dieu : in Deo salutari meo. Les âmes que nous avons blessées ne sont à l’unisson, avec nous et avec elles-mêmes, qu’en Dieu... Et le doux symbolisme chrétien l’invitait par ses plus accueillantes images : les Ombrages du Paradis, la Fontaine d’eau vive, le Rafraîchissement dans le Seigneur, le Rameau vert de la Colombe, annonciatrice de la paix... Mais les passions résistaient toujours : — Demain ! Attends encore un peu ! Est-ce que nous ne serons plus avec toi pour jamais ? Non erimus tecum ultra in æternum ?... Quel son lugubre dans ces syllabes, — et combien effrayant pour une âme timide ! Elles tombaient, lourdes comme du bronze, sur celle d’Augustin.

Il fallait en finir. Il fallait que quelqu’un le forçât à sortir de son indécision. Instinctivement, conduit par cette volonté mystérieuse qu’il sentait naître en lui, il alla trouver, pour lui conter sa détresse, un vieux prêtre, nommé Simplicianus, qui avait converti ou dirigé, dans sa jeunesse, l’évêque Ambroise. Sans doute, il lui parla de ses lectures récentes, — et notamment de ses lectures platoniciennes, — et de tous les efforts qu’il faisait pour entrer dans la communion du Christ : il s’avouait convaincu, mais incapable de passer à la pratique de la vie chrétienne. Alors, très habilement, en bon connaisseur des âmes, qui savait que la vanité n’était pas morte chez Augustin, Simplicianus lui proposa en exemple justement le traducteur de ces Dialogues de Platon, qu’il venait de lire avec tant d’enthousiasme : ce fameux Victorinus, cet orateur si admiré et si savant, qui avait sa statue sur le forum romain. Lui aussi, ce rhéteur, il croyait que la foi est possible sans les œuvres. Il était chrétien seulement de tête, par un reste d’orgueil philosophique et aussi par crainte de se compromettre aux yeux de l’aristocratie de Rome, encore presque tout entière païenne. Simplicianus lui remontrait en vain l’illogisme de sa conduite, lorsque, tout à coup, il se décida. Le jour du baptême des catéchumènes, l’homme illustre monta sur l’estrade préparée dans la basilique pour la profession de foi des nouveaux convertis, et, là, comme le dernier des fidèles, il prononça la sienne devant tout le peuple assemblé. Ce fut un coup de théâtre. La foule, transportée par ce beau geste, acclama le néophyte. Partout, on criait : « Victorinus ! Victorinus !... »

Augustin écoutait ce petit récit, dont tous les détails étaient si heureusement choisis pour agir sur une imagination comme