centaines de beaux messieurs et de belles dames en toilettes délicieuses ; une vingtaine d’hôtels splendides où l’on dine en musique, des lawn-tennis, des matches de bicyclettes, quelques mail-coaches ; enfin toutes les joies et toutes les gloires du high-life. Au-dessus de ces magnificences mondaines, la Yungfrau, le Mönch et l’Eiger, lèvent bien, dans le bleu du ciel, leurs têtes chargées de glaces et de neiges. Mais qui les regarde ?... Ce sont tout au plus des décors assez réussis de ce grand café-concert cosmopolite, de ce beuglant international où des Yvette Guilbert de deuxième ordre jettent à l’écho des glaciers les chansonnettes macabres du Chat-Noir et les romances du café des Ambassadeurs.
De Thoune nous avons été à Interlaken, à Grindelwald et à Lauterbrunnen, où nous avons fait encore sur nos vieilles jambes, en plein soleil et à travers les cailloux brùlans, deux courses assez extravagantes, l’une de quatre heures et demie, l’autre de cinq heures. Cela fait, nous avons ramassé tant bien que mal les morceaux vannés de nos antiques carcasses ; et après une journée de repos à Schwitz où nous avons été surprendre nos amis Ducamp, que bien vous connaissez, nous sommes revenus à Paris par Bâle et Belfort. A présent, depuis deux heures seulement, nous voici revenus à notre chère solitude, et, de tous les mortels, vous êtes le premier, mon cher ami, à qui je donne, du fond de mon rocher, une pensée et un souvenir.
Vous, jeune homme, vous allez être, partout où vous irez, emporté par le flot des plaisirs mondains et des élégances opulentes. Au milieu de ces enchantemens sportifs, pensez quelquefois aux deux vieux ermites qui vous aiment bien, et qui voudraient vous voir plus heureux que vous ne l’êtes de votre bonheur.
Pendant les trois jours que nous avons passés à Paris, nous n’avons vu presque personne, parce que personne en effet l’on n’y saurait voir en ce moment. Je n’y connais pas dix êtres vivans. Je me suis mis à la recherche de Limet. Limet, comme vous le pensez bien, est introuvable. Il est en Suisse, à moins qu’il ne soit dans le Tyrol, à moins qu’il ne soit à Constantinople ou à Suresnes. Son concierge m’a donné en souriant doucement sa dernière adresse qui, m’a-t-il dit, n’est peut-être déjà plus la bonne... « Château de V. Y. » Chez qui ? Mystère.
Sur ce, adieu. Je bavarde et j’ai bien des affaires, ne fût-ce qu’avec mon chef jardinier qui a mis dans mes parterres trop