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HARPES ÉOLIENNES

SENSATIONS D’ENFANCE

Nos plus lointains souvenirs d’enfance nous reviennent quelquefois avec le son léger d’une harpe éolienne. Soupirs aériens qui sortent de l’Infini et vont se perdre dans l’Insondable. D’où viennent ces ineffables chants ? Où tendent ces sons doux et cruels ? Nous n’en savons rien. Ils évoquent en nous des images disparates, qui surgissent comme des îlots de l’océan d’oubli qu’est notre mémoire subconsciente. Mais, lorsque, au crépuscule de la vie, on rassemble ces fragmens épars, qui flottent au plus profond de nous-mêmes, on s’aperçoit qu’ils représentent les traits essentiels de notre physionomie intellectuelle et morale. On peut dire alors, avec une femme qui avait l’habitude de creuser ses sentimens jusqu’à leur tréfonds : « L’âme est mystérieusement consciente de son unité et de son but. De bonne heure, elle trace d’elle-même une image divine avec les objets du monde extérieur. »

Dans l’épisode qu’on va lire, on trouvera peut-être une confirmation de cette vérité et l’on y constatera, une fois de plus, que si l’être humain ne s’épanouit que sous l’action du monde environnant, il se développe d’après une loi propre différente chez chaque individu. L’homme est libre parce qu’il choisit, d’après sa nature intime, les influences qui le guident.


I

Je dois avouer que la ville de Strasbourg, où je suis né, n’offrit que peu d’attraits à ma triste et songeuse enfance. Je