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En fait, comme le remarque M. Nernst, cet événement n’a besoin de se produire que très rarement, vu la durée extrêmement longue de presque tous les élémens chimiques et la raréfaction extrême de la matière dans le monde : d’après les récentes recherches astronomiques, l’Univers sensible ne contient en moyenne que le volume d’une tête d’épingle de matière dans une sphère d’éther de 200 kilomètres de diamètre.

Certes, rien n’autorise à l’heure actuelle à affirmer la réalité d’un pareil phénomène. Il n’en est pas moins rendu possible, sinon probable par divers points de vue nouveaux que la radio-activité a introduits dans nos idées, et il nous permet de concevoir avec moins de difficultés qu’il y a quelques années une certaine permanence de l’Énergie utile du Cosmos.

Si les choses se passent ainsi, la période atomique dont parle quelque part Renan, celle où se seraient constituées les molécules « qui pourraient bien être comme toute chose le fruit du temps, le résultat d’un phénomène très prolongé, d’une agglutination prolongée pendant des milliards de siècles, » cette période-là serait encore actuelle.

Gardons-nous d’en rien affirmer et attendons.

Il est en tout cas une autre question bien passionnante, qui est liée aux discussions que nous venons de rappeler, c’est celle de la contingence dans le temps et dans l’espace des lois de l’Univers. Nous y reviendrons quelque jour.

Pour aujourd’hui, et comme conclusion de cette brève étude, bornons-nous à cette constatation mélancolique : que nous ne sommes guère plus avancés qu’il y a un siècle au sujet de la pérennité de l’Univers. Pourtant, nous avons fait un progrès, en puisant dans la science de nouvelles raisons d’être modestes et de nous garder de tout dogmatisme ; nous y avons trouvé des conseils nouveaux de sagesse, et la crainte nécessaire des extrapolations trop lointaines.

L’intérêt presque passionné que beaucoup d’hommes de science portent en ce moment à tout ce qui touche les destinées futures du monde est en tout cas bien significatif. Il est, dans la vie des sociétés comme dans celle des individus, des heures de malaise moral où la désespérance et la lassitude étendent sur les êtres leurs ailes de plomb. Les hommes alors se prennent à rêver du néant. La fin de tout cesse d’être « indésirable » et d’y songer jaillit comme un apaisement. Les controverses récentes des savans sur la mort de l’Univers sont peut-être le reflet d’une de ces heures grises.

Charles Nordmann.