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liser le conflit, à en limiter le champ clos, et à conserver elle-même, dans la paix, la liberté de ses mouvemens. Nous espérons qu’il continuera d’en être de même. Si les Balkaniques veulent à tout prix se battre, qu’ils le fassent, mais que l’Europe conserve son sang-froid et ne se croie pas obligée, pour des intérêts contestables et qui d’ailleurs se font équilibre, d’entrer dans un jeu aussi dangereux. Toutes les grandes Puissances sont pacifiques. Ni la France, ni l’Allemagne, ni l’Angleterre, ni l’Italie, n’ont d’intérêts assez grands ou assez urgens dans les Balkans pour être tentées de se départir de l’abstention. Quant à l’Autriche et à la Russie, leurs intérêts sont plus directs sans doute et plus pressans, parce qu’ils sont plus proches, mais elles ont plus de chances de les faire prévaloir par la diplomatie que par la guerre, avec les terribles hasards que celle-ci comporte. Que n’a pas obtenu l’Autriche, par la seule force de sa position et de sa détermination ? De larges satisfactions, de solides garanties lui ont été données. Aurait-elle obtenu davantage par d’autres moyens ? Rien n’est plus douteux. Toutes les guerres qui ont eu lieu dans le monde, depuis un demi-siècle et plus, ont été fertiles en surprises déconcertantes. Grande leçon de prudence pour les gouvernemens et pour les peuples ! Quant à la Russie, en plein développement économique, en pleine et prodigieuse croissance, elle a tout à attendre du temps. La paix aujourd’hui, à quelque point de vue qu’on se place, est donc conforme à l’intérêt bien entendu de toutes les grandes Puissances, et c’est pour cela qu’elle sera maintenue. Nous ne nous faisons d’ailleurs aucune illusion : si une seule Puissance croyait avoir plus à gagner à la guerre, la paix serait bien compromise. À coup sûr, le pacifisme n’est pas en progrès et l’accumulation croissante des forces militaires dans toute l’Europe montre bien ce qu’il faut en penser. Ce qui empêche la guerre d’éclater, c’est que chacun a le sentiment qu’elle serait incertaine dans ses résultats, mais effroyable dans son exécution et dans ses conséquences. Ce sentiment est excellent, puisqu’il retient : il faut l’entretenir avec soin en maintenant l’équilibre des forces qui est aujourd’hui la meilleure et probablement la seule garantie du maintien de la paix. Nous vivons dans un monde ultra-réaliste où la force règne en maîtresse, avec une telle clarté d’évidence que les aveugles seuls peuvent en douter.

À la politique d’abstention et de non-intervention, il faut pourtant faire une exception pour la Roumanie : si la guerre se poursuit dans les Balkans, — et comment ne s’y poursuivrait-elle pas ? — la Roumanie se prépare à y prendre part. Elle mobilise son armée. Mais il