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l’Autriche n’est plus la même en Orient et on se souvient à Bucarest que, dans la monarchie dite dualiste, mais qui est composée de beaucoup plus que de deux morceaux et de deux races, il y a, en Transylvanie, trois millions de Roumains qui y constituent une sorte de Roumanie irredenta. C’est pourquoi l’opinion s’est peu à peu détachée de l’Autriche et la politique du Roi, telle du moins qu’elle s’est comportée jusqu’à ce jour, ne rencontre plus dans l’opinion la même faveur unanime. Les déceptions causées par la guerre turco-balkanique, déceptions dont nous avons parlé plus haut, ont fait sentir la nécessité d’un contrôle sur la politique extérieure du pays, qui était, trop exclusivement peut-être, celle du Roi. Ce sont là des élémens nouveaux avec lesquels il faut compter.

On ne semble pas s’en être tout de suite rendu compte à Vienne. L’habitude y était si bien prise de considérer la Roumanie comme faisant partie du système autrichien, que l’idée d’un désaccord, ou même d’une politique personnelle et distincte qui prévaudrait à Bucarest, n’entrait pas dans les esprits comme une possibilité prochaine. La quiétude était complète. Aussi la surprise a-t-elle été grande lorsqu’on a vu la Roumanie annoncer l’intention de mobiliser et la réaliser incontinent. Nous avons dit déjà qu’un des inconvéniens de la discorde entre les pays balkaniques était une diminution de leur indépendance vis-à-vis des grandes Puissances : ils cherchent des appuis au dehors, dont ils n’auraient pas eu besoin, s’ils étaient restés unis. La Bulgarie en a cherché un du côté de l’Autriche, dans la pensée que cette politique lui assurerait par contre-coup, sinon le concours, au moins la neutralité bienveillante de la Roumanie. La désillusion n’a pas été longue à venir : la Roumanie est sortie de l’orbite autrichien, et elle arme. L’opinion autrichienne en a éprouvé une surprise, une émotion dont les journaux se sont faits naïvement les interprètes. Le fait, étant inattendu, n’en a frappé que davantage. On y a vu, pour la Roumanie, une sorte d’affranchissement. Il y a, dans la politique en général, et dans celle de l’Orient en particulier, un si grand nombre d’oscillations en sens divers qu’il convient d’attendre quelque temps encore pour voir si la politique roumaine se déterminera définitivement dans le sens où elle s’engage. Naturellement, on travaille à Vienne à rapprocher la Roumanie et la Bulgarie et on y conseille à celle-ci de faire à celle-là des concessions immédiates qui la satisfassent et l’apaisent ; mais les exigences de la Roumanie sont grandes ; sans doute même elles grandiront encore ; il n’est pas probable que la Bulgarie les accepte amiablement. La mobilisation roumaine, par