Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 16.djvu/754

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

momentanément le sort d’un Etat entre leurs mains, ne peuvent être soumis à l’obéissance passive d’un simple officier ; non seulement ils ont tout droit de représentation, mais c’est aussi leur devoir de refuser de concourir à des mesures désastreuses[1]. »

Indépendamment de ces autorités, Mac Mahon pouvait s’inspirer d’illustres exemples. Turenne n’hésita jamais à résister aux ordres envoyés par Louvois de Versailles, au nom du Roi, lorsqu’il les crut contraires aux intérêts de la France et de son armée. Ainsi, par exemple, au commencement de l’hiver de 1673, Louvois lui ordonna de repasser le Rhin. Turenne s’y refusa[2]. Lorsque Dumouriez se fut décidé à découvrir Paris et à se porter aux défilés de l’Argonne, Servan, le ministre de la Guerre, le somma de renoncer à son plan. Dumouriez ne le voulut pas. Servan lui riposte que son opiniâtreté est coupable, que les uhlans couraient jusqu’aux portes de Reims et que Paris était consterné. Il répondit : « Je ne changerai pas mon plan pour des housardailles[3]. »

Après la victoire de Lodi, le Directoire voulut imposer un plan de campagne au jeune Bonaparte ; il refusa de le suivre. « Je ne veux pas être entravé, répondit-il ; si cela vous déplaît, remplacez-moi[4]. »

Lorsqu’en Crimée, l’Empereur voulut, des Tuileries, imposer des résolutions à Pélissier, celui-ci refusa de les exécuter. « Que Votre Majesté, écrivit-il, me dégage des limites étroites qu’elle m’assigne ou qu’elle me permette de résigner un commandement impossible à exercer avec nos loyaux alliés, à l’extrémité quelquefois paralysante d’un fil électrique. »


XIII

Que Mac Mahon ne s’est-il inspiré de Turenne, Dumouriez, Bonaparte, Pélissier ! Le gouvernement eût été dans la nécessité ou de renoncer à son injonction ou de le frapper d’une révocation devant laquelle il eût probablement reculé. Mais obéir avant tout et toujours au commandement supérieur était la règle

  1. Armée du Rhin, t. II, p. 207.
  2. Mignet, Négociations d’Espagne, t. IV, p. 131. Voir aussi Ramsay, Histoire de Turenne, t. I, p. 517 et 518 (1735).
  3. Mémoires.
  4. 14 mai 1796.