En somme, c’est un pleutre. Une goutte d’eau bénite le brûle, un signe de croix le renverse et le fait fuir, l’Ave Maria d’une bonne femme l’assomme. Adieu, en voici bien long pour un journaliste qui change de gouvernement. Je vous laisse sous les ailes de votre bon ange.
Il paraît que ces imbéciles, s’ils avaient été les plus forts, voulaient m’arrêter. C’est cela qui aurait fait carrer mon domestique, déjà convaincu que Monsieur est un homme très conséquent.
Paris, 1er juin 1873.
Ma très chère amie, deux fois j’ai commencé une réponse à votre dernière, et deux fois j’ai été interrompu. Que cela vous donne une idée de la vie que je mène sans cesser d’être un solitaire parfaitement à l’écart du monde. Les lettres, les visites, les journaux, le diable, se donnent le mot pour me tourmenter. Je ne peux travailler qu’avec la moitié de ma pensée. En écrivant d’une chose, je pense à une autre. De là ces tentations qui me prennent quelquefois de tout laisser pour essayer au moins de m’entendre moi-même, et de suivre une idée. Je suis les idées comme les messieurs qui suivent les femmes sans le moindre espoir de faire connaissance, parce qu’ils suivent précisément les plus belles, les mieux faites et les plus honnêtes, c’est-à-dire celles qui se laissent moins aborder par les vagabonds. Ces platoniques le savent bien, mais ils suivent la déesse pour avoir le plaisir de la regarder marcher. Enfin je trouve une minute et je vous crie mon bonjour auquel je joins le second portrait demandé. J’espère que toute la cour ne s’y mettra pas parce que je serais obligé de faire tirer des épreuves et que ce portrait légèrement arrogant m’agace. Je trouve impossible d’écrire une parole humble et douce sous cette mine rebiffée. Or le visage qui proteste contre l’humilité est mauvais, et si ce portrait est l’homme, l’homme alors ne vaut rien. Quel imbécile de photographe qui a fait le portrait de la cuirasse, du sabre et du plumet au lieu de faire celui du piou-piou ! Le voici néanmoins. Je cède au nom de la comtesse Keller, J’ai rencontré deux fois chez un de mes vieux amis une comtesse Keller, russe, qui m’a charmé par sa grâce, son esprit et son français. Si la vôtre est la fille de la mienne, dites-lui qu’elle risque fort