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et le parlement à l’obligation de voter les impôts dont ils rêvent depuis si longtemps de frapper, non pas le pays tout entier, mais, comme ils disent, les riches. Cette intention, cette volonté de leur part se sont manifestées d’une manière particulièrement dure et arrogante après le vote de la loi militaire. Ils ont voulu proposer d’introduire dans la loi de finance une injonction adressée au gouvernement d’avoir à présenter un projet d’impôt sur le revenu conforme à leurs vues. M. Barthou s’en est défendu avec tant de vigueur qu’on a pu croire, tout d’abord, qu’il était hostile à un pareil projet, et on était d’autant plus fondé à le croire qu’il en avait préparé un autre. Mais point : ce n’est pas la fortune publique et privée que défendait M. Barthou, c’est la dignité du gouvernement ; il ne voulait pas accepter pour lui d’injonction ; que deviendrait, demandait-il, sa liberté ? Au surplus, il n’a fait aucune difficulté à dire quel usage il se proposait de faire de cette liberté qu’il revendiquait si fièrement : c’était de déposer un projet de loi qui donnerait toute satisfaction aux radicaux-socialistes. Naturellement, ces derniers n’ont plus insisté et tout le monde s’est embrassé : M. Caillaux a présidé à l’opération. Mais il y a le Sénat : que fera-t-il ? Les radicaux-socialistes n’ont pas confiance en lui ; ils lui reprochent de faire traîner, depuis plusieurs années déjà, l’impôt sur le revenu voté par la Chambre ; il faut trouver un moyen de vaincre ses hésitations et de lui forcer la main. Le moyen est simple : c’est, dans le cas où l’impôt sur le revenu ne serait pas voté à une certaine date, de l’incorporer dans la loi de finance. Le gouvernement s’est montré ici moins soucieux de la dignité du Sénat qu’il ne l’avait été de la sienne : il a adhéré à la proposition. Cela demandait une explication, et M. Ribot a prié le gouvernement de la donner : il a d’ailleurs ajouté que la Commission de l’impôt sur le revenu, qui avait beaucoup travaillé, était sur le point d’aboutir et de déposer son rapport. M. Barthou a protesté de son profond respect pour les droits du Sénat ; jamais il ne permettrait qu’on y portât atteinte ; mais la question n’avait pas d’importance, puisque la Commission compétente était prête et que l’impôt sur le revenu serait voté au Sénat avant qu’on eût à incorporer la réforme dans le budget. Et le Sénat s’est contenté de cette réponse. S’il est rassuré, nous ne le sommes pas.

Le discours de M. Ribot a été à lui seul toute la discussion générale du budget au Sénat : il est vrai qu’il n’a laissé rien à dire d’essentiel. M. Ribot a signalé, dénoncé, condamné les détestables pratiques qui, depuis ces dernières années, ont fait du budget un simple simulacre