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humain, et son expérience personnelle d’éducateur avait été entièrement dominée et dirigée par les principes pédagogiques de Montaigne. Suivant ses préceptes, par exemple, et à l’imitation du père du philosophe, il avait placé auprès de son disciple encore en bas âge une gouvernante qui ne devait lui parler que latin. On peut dire qu’il avait essayé et comme contrôlé expérimentalement, d’une manière consciente ou non d’ailleurs, peu importe, les vues de son devancier. Mais comme il n’était rien moins qu’un esprit passif et à la remorque, il ne se contenta pas de les vérifier, il y joignit ses propres observations en abondance, il les enrichit de toute la perspicacité de sa réflexion très docile aux leçons des choses ; sur aucun point, je crois, il n’en vint à les contredire. Il adresse à l’éducation traditionnelle les mêmes critiques que Montaigne, lui reproche d’abâtardir les cœurs par une discipline trop rigoureuse et les esprits par un exercice abusif de la mémoire non moins que par l’appel constant au principe d’autorité. Comme lui il décharge les programmes des disciplines formelles qui les encombraient : la grammaire, la rhétorique, la dialectique ; et à une pédagogie de l’effort il prétend substituer une pédagogie du plaisir, et élever l’âme en toute douceur et liberté. Surtout, au point de vue moral comme au point de vue intellectuel, il s’efforce, paf les mêmes moyens que Montaigne, de réagir contre le principe d’autorité et de donner à ses disciples des habitudes de libre examen. Par là Locke, dont le traité a joui d’une grande faveur, les préparait à recevoir les leçons de Montaigne et à les mettre en pratique, à s’imprégner de ses idées. Comme Montaigne, et avec l’aide de Montaigne, il avait le souci avant tout de former des esprits indépendans. Locke écrivit encore à la fin de sa vie un opuscule intitulé : De la conduite de l’entendement. Les mêmes principes y dominent, et, bien que les réminiscences directes de Montaigne y soient moins nombreuses, on y retrouve ses idées les plus chères. Après les avoir proposées à l’enfance, Locke les recommandait à l’âge mûr. Il voulait les voir présider à la vie tout entière.

C’étaient précisément les mêmes principes de libre examen qui, dans le même temps, conduisaient les philosophes anglais à affranchir la morale de la religion, et qui répandaient le doute sur tous les dogmes de la foi traditionnelle. La raison, dégagée de ses entraves, devait prétendre à gouverner seule l’activité