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fut en vérité très longtemps l’idole du peuple ou d’une partie très considérable du peuple anglais. Il était un admirable artiste en persuasion par le pathétique. Il avait du prophète et du tragédien. Il eût été admirable à jouer le rôle d’Antoine dans le Jules César de Shakspeare. Il savait vivre tellement de l’âme même de l’auditoire qu’il disait toujours juste ce que son auditoire désirait qu’il dit et allait lui souffler. La communication entre lui et la foule était d’inspiratrice à inspiré et quand il était devant elle il y avait deux suggestionnés et entre elle et lui une harmonie préétablie qui ne cessait point.

« Quel est l’homme du monde, disait-il, qui peut se réjouir plus que moi de la perspective du succès ? Puisque j’ai été l’instrument principal et le créateur du mouvement, quel est l’homme qui peut s’intéresser davantage à son heureuse et rapide réussite ? Je suis un otage entre les mains des classes laborieuses auxquelles je dois prouver ma sincérité. N’ai-je pas plus d’une fois promis au peuple que je conquerrais le suffrage universel ou que je mourrais dans la lutte ? Toutes les minutes de mon existence, depuis les origines de l’agitation, ont été un lourd fardeau et ma vie aurait pu être obtenue à bon marché, n’eût été que je croyais que le peuple y attachait quelque prix. Depuis le 6 août, depuis que nous avons fait alliance avec les hommes de Birmingham et autres traîtres, toute parole prononcée par quelqu’un des chasseurs de popularité m’a été attribuée et lorsqu’ils ont été attaqués, ne les ai-je pas défendus au péril de ma vie ?... Si Birmingham est mis à feu, la presse m’en rend responsable. Si des émeutes ont lieu, toutes les responsabilités sont placées sur mes épaules. Tout cela et plus encore, je suis prêt à le supporter plutôt que d’affaiblir la cause. Ma vie elle-même dépend du succès de la cause. Si je déserte ou si je tergiverse, aucun assassin ne méritera mieux la mort et aucun homme ne sera plus sûr de la recevoir immédiatement. N’ai-je donc pas dès lors le droit de donner des avis et des conseils à ceux au service de qui j’ai travaillé comme jamais auparavant n’a travaillé aucun homme ? Certes. Et ne vous méprenez pas maintenant sur mes paroles : car si le peuple persévère, je serai avec lui à l’endroit du plus grand danger. Mais je ne suis pas homme à rester honteusement tranquille lorsque la plus glorieuse de toutes les causes, la cause de la liberté, est mise en péril par une fausse démarche. »