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Vierge de S. Maria dei Battuti, Ici, au musée d’Udine, il n’y a que Quatre Evangélistes, si noirs et si abîmés qu’il est à peu près impossible de les distinguer.

D’ailleurs, comment rester enfermé dans ces salles obscures lorsqu’on entrevoit, par les fenêtres, le superbe panorama dont on jouit de l’esplanade qui s’étend derrière le château ? Je connais peu de vues aussi vastes et aussi belles. Si, comme le raconte la légende, cette colline fut élevée sur l’ordre d’Attila qui voulait contempler de loin l’incendie d’Aquilée, il faut avouer que le barbare, tout autant que Néron, était un prodigieux metteur en scène. Dans toute l’Italie où l’on eut, dès les temps les plus reculés, le génie de ces perspectives qui mettent l’infini à la portée d’une ville, il est peu de position aussi splendide. Au milieu d’une plaine immense et à quelques mètres seulement d’altitude, on a l’illusion d’être suspendu haut dans l’espace. Situation privilégiée pour une capitale qui peut, au centre même du pays, apercevoir celui-ci tout entier et le surveiller ! En une courbe presque régulière, le Frioul se déroule autour d’Udine, gigantesque amphithéâtre qui va, se dégradant peu à peu, des Alpes neigeuses aux Préalpes vertes, de celles-ci aux collines couvertes de vignes et de bois, des collines à la plaine doucement inclinée et de la plaine aux lagunes. Vu d’ici, le cercle des Alpes Carniques forme une haute et rude barrière que dominent le Canin, à l’Est, et, à l’Ouest, très en arrière, dans la direction de Gemona, le Coglians, qui est la cime la plus élevée de la contrée. Bien que ces sommets n’atteignent pas 3 000 mètres, comme on les regarde presque du niveau de la mer, ils ont très fière allure. Déjà les premières fraîcheurs de septembre les ont couverts de neige. Deux jeunes gens, qui doivent en être descendus depuis peu, les contemplent avec ces yeux pleins de tristesse nostalgique qu’ont les montagnards en pays plat. Ils sont bien de cette race frioulienne, forte et laborieuse, plus rude et plus sérieuse que la vénitienne ; ils me rappellent leurs voisins du Cadore, ces robustes paysans d’où sortit Titien qui, presque centenaire, peignait encore d’une main assurée. Sur ma demande, ils me nomment les cimes lointaines et m’indiquent les villes les plus importantes que l’on distingue, le long des rivières ou dans les replis des coteaux : Cividale, San Daniele, Palmanova avec sa forteresse étoiléc, San Vito, Pordenone. Tout à fait au Sud, on aperçoit les lagunes où dorment Aquilée