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tableaux de ce peintre inégal qui imita un peu tous les maîtres de Venise et acquit, de son temps, une grande réputation. « Je ne crois pas, lui écrivait l’Arétin, que Raphaël ait jamais donné à ses figures divines une expression plus angélique, tant de grâce, d’allure et de nouveauté, vaghezza, aria e novitade... » Certes, l’Arétin ne fut jamais un modèle de modération, pas plus dans le blâme que dans l’éloge, et ce n’est pas d’aujourd’hui que les critiques accablent parfois les artistes de louanges exagérées ; mais cela nous explique pourquoi Titien n’aimait guère cet élève qui prenait des allures de rival. Le temps a remis chacun à sa place. Paris Bordone serait sans doute bien oublié s’il n’était l’auteur du Pêcheur remettant au Loge l’anneau de saint Marc, cette charmante page anecdotique d’histoire locale que Burckhardt considère comme le meilleur tableau de cérémonie qui ait été peint. Paris Bordone est un excellent artiste de second ordre parmi cette pléiade de peintres qui brillèrent presque en même temps au ciel de la République.


IV. — CASTELFRANCO

Entre toutes les cités de la riche plaine vénitienne, je n’en connais pas qui aient un aspect plus pittoresque que les deux voisines, jadis rivales, de Cittadella et de Castelfranco. Encore enfermées dans leur enceinte du Moyen âge, elles sont pareilles à des corbeilles de pierre tapissées de lierre que fleurissent, au printemps, les premières glycines, puis, en juin, les grappes parfumées des acacias, puis de nouveau, à l’automne, les glycines tardives.

Les Italiens ont conservé de la Renaissance le sens exquis de la beauté et, sauf quelques fautes de goût, d’ailleurs presque toujours récentes, l’ont appliqué d’instinct à leurs cités. Ils aménagèrent, au mieux de l’aspect décoratif, les castelli des villes déchues, les citadelles, les murailles et les fossés. Souvent déjà, j’ai noté leur habile appropriation de ces antiques constructions qui ne tiendraient pas une heure devant l’artillerie moderne. Au lieu de détruire, déblayer et niveler, comme nous le fîmes trop souvent, ils respectèrent les remparts inutiles et les transformèrent en superbes promenades ombragées d’où l’œil ne se lasse pas d’admirer les perspectives et les horizons. Ici, ce fut mieux encore. Ils laissèrent intactes les enceintes