Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me tenir à mon propos, nous avons eu, en France, des années dangereuses de raison pure, des années auxquelles succède un hardi mouvement de raison pratique. Au temps de la raison pure, l’impératif catégorique avait un peu l’air de sentimentale et molle complaisance qu’Henri Heine lui attribue. Ce temps est passé : nos jeunes gens considèrent sans doute les prouesses de la raison pure comme un futile et criminel exercice de sophistique industrieuse ; et ils sont touchés de l’impératif catégorique.

J’ai cité Kant, à leur sujet. Ce n’est pas qu’ils aient grandement subi l’influence de ce philosophe. Mais le Kantisme, avec ses deux momens, l’un de destruction et l’autre de soudaine édification, symbolise à mon gré cette époque-ci et les deux générations qui l’occupent, l’une qui s’en va et l’autre qui arrive.

Leur philosophe, c’est Pascal. Ils l’ont lu, médité, compris. M. Mauriac, M. Vallery-Radot, M. Psichari le citent plusieurs fois, et justement. M. Variot cite Descartes, comme « grand organisateur. » Pour Descartes, le doute est méthodique, — un procédé de démonstration, — et il est provisoire, de même qu’en dépit des moqueries d’Henri Heine, la raison pure d’Emmanuel Kant, pour Emmanuel Kant, est provisoire et prépare méthodiquement l’intervention de la raison pratique. Et c’est un impératif catégorique que pose, lui aussi, Pascal quand il écrit : » Vous êtes embarqué... Il faut choisir... Naturellement, cela vous fera croire et vous abêtira. — Mais c’est ce que je crains. — Et pourquoi ? qu’avez-vous à perdre ? » Ces lignes pourraient servir d’épigraphe à chacun des quatre volumes que je signale ; et elles résument la philosophie, plus ou moins nette, mais vive, de ces écrivains qui, dans le doute où ils étaient abandonnés par leurs maîtres, « parient » pour l’Église et « parient » pour l’armée. Ils sont pascaliens, comme leurs prédécesseurs étaient voltairiens : car tels semblent être les deux courans entre lesquels pouvait hésiter la pensée française contemporaine. Que donne, en fait de littérature, cette importante renaissance pascalienne ?


M. François Mauriac avait publié deux petits volumes de vers, Les mains jointes et L’adieu à l’adolescence. Avec beaucoup de goût, de simplicité, de grâce, il notait l’émoi, les souvenirs, les ferveurs, l’inquiétude d’un enfant pieux, élevé selon le bon usage, et qui est à l’abri des plus terribles malheurs, non de toute mélancolie, et qui rêve dans les limites où on le garde, et qui souffre, mais qui n’exagère, ni pour lui ni pour les autres, sa douleur. Poèmes délicats, frissonnans